« L’État burkinabè a suffisamment souffert des chèques impayés », DG Trésor

Ouagadougou, (AIB)-Le Directeur général du Trésor et de la Comptabilité publique, Bruno Raymond Bamouni, a accordé une interview le vendredi 12 septembre 2025 sur l’interdiction du chèque dans les paiements au profit de l’administration publique. Selon lui, la mesure vise à stopper la dissipation des ressources publiques, à disposer immédiatement d’une trésorerie et à promouvoir les moyens digitaux de paiement. Lisez.

 Agence d’information du Burkina (AIB) : L’Etat burkinabè a décidé d’interdire à compter du 1er octobre 2025, l’utilisation du chèque comme moyen de paiement dans les opérations financières de l’administration publique. De façon simplifiée, qu’est-ce qu’on devrait comprendre par opération financière de l’administration publique ?

 Bruno Raymond Bamouni (BRB) : Pour ce qui concerne l’esprit et la lettre de cette circulaire, c’est tout ce qui est opération d’encaissement en faveur de l’État. Il s’agit de tous ceux qui doivent à l’État sous forme d’impôts ou d’aides quelconques qu’ils doivent régler au profit du Trésor public. La circulaire, simplement, c’est pour rappeler que le chèque n’est pas reçu comme moyen par lequel les recettes doivent être encaissées. Ce qu’il faut entendre par opération financière de l’administration publique, c’est ça.

AIB : Qu’est-ce qui a motivé la prise de cette décision ?

BRB : On peut simplement résumer les objectifs à travers les trois points suivants. Le premier objectif, c’est de permettre au Trésor public de disposer d’une trésorerie immédiate et accroître notre trésorerie, la trésorerie de l’État. Le deuxième objectif, c’est de permettre d’éradiquer la délinquance au moyen du chèque. Le troisième objectif, c’est de faire la promotion des moyens de paiement digitaux.  Sur le volet qui concerne, par exemple, l’éradication de la délinquance, ce qu’il faut noter, c’est que le Trésor a été confronté pendant longtemps à ce phénomène que nous-mêmes avons appelé, depuis le début des années 2000, le fléau des chèques impayés.

Pour vous dire ce qu’il y a comme situation, c’est des faits, ce n’est pas de la spéculation. Nous avons aujourd’hui, au bas mot, ça peut se vérifier au niveau de l’agence judiciaire de l’État, près de 34 milliards de francs de chèques revenus impayés. Et ces montants sont, en notre sens, colossaux, au point où aujourd’hui, comme on le sait tous, au regard du contexte, si le Trésor disposait de cette trésorerie, de ces sommes, ça permettrait à l’État, de faire face à un certain nombre de besoins. Mais malheureusement, c’est un manque à gagner pour la trésorerie de l’État. Et le constat, c’est que nous avions observé qu’il y avait beaucoup d’acteurs économiques qui avaient pris goût à cela. Et le chèque était devenu un moyen par lequel beaucoup s’enrichissaient sur le dos de l’État. C’est pour cela que le ministre a pris cette circulaire, pour interdire le chèque. Tous ceux-là qui doivent à l’État, qui doivent payer quelque chose à l’État, ils peuvent explorer tous les autres moyens, sauf le chèque.

Donc, on a aujourd’hui, en matière de promotion de tout ce qui est moyen numérique de paiement, tout un ensemble de produits que nous avons mis à la disposition des Burkinabè. Les banques sont aujourd’hui fournies en termes de moyens digitaux. Donc, toutes les opérations peuvent se faire de façon sécurisée et avec un niveau de fiabilité qu’on ne peut pas contester.

Donc, c’est tous ces éléments-là qui nous permettent aujourd’hui de dire qu’il ne faut plus permettre, en tout cas, d’utiliser le chèque comme moyen de délinquance.

AIB : Qu’est-ce qu’une telle décision rapporte à l’Etat ?

 BRB : La question de la trésorerie, c’est notre cœur de métier. C’est faire en sorte que l’État dispose de moyens pour faire face à ses besoins. C’est aussi cela sens du trésor. L’’État gagne, je dirais, de façon substantielle en permettant, en tout cas, à ce que le chèque ne soit plus utilisé comme moyen pour dissiper ou retarder la disponibilité de la trésorerie. De ce point de vue, nous pensons que l’État gagne beaucoup. L’État gagne davantage en permettant également aux citoyens d’être plus sécurisés. Parce que l’interdiction dont nous parlons, ce n’est pas une interdiction du chèque au Burkina Faso. C’est la nuance qu’il faut qu’on apporte.

Parce qu’effectivement, à travers les réseaux sociaux, ça va dans tous les sens. Mais ce n’est pas une interdiction du chèque au Burkina Faso. Il ne s’agit pas de cela. Il s’agit des chèques émis pour honorer des obligations vis-à-vis de l’État. Donc, c’est des chèques que l’État devrait encaisser et que l’État n’arrive pas à encaisser. C’est de ça qu’il s’agit.

Parce que le chèque a été détourné de son utilisation noble pour devenir un moyen de délinquance pour gruger l’État.  Nous parlons du trésor public, où véritablement, comme je viens de le dire, il y a une déperdition de recettes, de ressources et de trésorerie que nous subissons. Et cela, personne ne peut en tout cas rester indifférent face à cette situation-là.

AIB : Est-ce que cette décision marque la fin du chèque trésor ?

BRB : Non. Là encore, il y a un amalgame qui est fait. Il ne s’agit pas du chèque trésor dont on parle. On parle du chèque émis au profit du trésor. Ce n’est pas le chèque du trésor en vue de faire des dépenses, des paiements au profit des autres usagers du trésor. Il ne s’agit pas de cela. Le chèque du trésor, c’est un chèque jusqu’à présent, on a tout mis en place pour garantir sa fiabilité et sa crédibilité. Donc le chèque trésor n’est pas concerné dans le cas d’espèces. Il ne s’agit pas du volet dépenses. C’est le chèque émis pour honorer des engagements vis-à-vis du trésor public. C’est ce chèque-là qui nous pose problème. Donc le chèque trésor ne pose pas de problème à qui que ce soit. La preuve, c’est que nous mettons un point d’honneur à en faire en tout cas un outil de paiement, un moyen de paiement crédible. Donc pour nous, ce n’est pas la fin du chèque trésor parce qu’effectivement, les gens sont allés un peu vite en besogne en créant des amalgames.  Il s’agit du chèque émis au niveau des comptes des autres banques pour payer soit des impôts et taxes et autres dettes des usagers vis-à-vis du trésor public. C’est donc de ce chèque-là qu’il s’agit, mais non du chèque trésor.

AIB : Votre mot de conclusion

 BRB : Je vous remercie par rapport à l’opportunité que vous nous donnez. C’est vrai qu’on parle de la mesure prise, la circulaire, pour être précis. Mais il y a nécessité d’insister sur les conséquences ou les dégâts que l’utilisation du chèque revenu impayé a causé ou continue de causer au trésor. Je vous l’ai dit tout de suite, nous avons au bas mot près de 34 milliards de francs CFA que le trésor public n’est pas arrivé à encaisser. À travers l’occasion que vous nous offrez, c’est un message que nous voulons aussi adresser à tous ceux qui doivent au Trésor public. Il est temps de commencer à honorer leurs obligations. Il est temps que, avant que toute la batterie de mesures que nous allons envisager, le Trésor public et l’Agence judiciaire de l’État pour permettre au Trésor de rentrer dans ses droits.

Tous ceux qui doivent au Trésor public pour des faits liés à des chèques revenus impayés, qu’ils prennent attache, que ce soit avec l’Agence judiciaire de l’État ou le Trésor public à travers nos différents postes, que ce soit au niveau central à Ouagadougou, à Bobo-Dioulasso ou dans les autres régions. Que chacun honore ses engagements et paye ce qu’il doit payer au Trésor public pour éviter que des mesures draconiennes s’engagent à son encontre. Nous allons procéder par tous les moyens que la loi nous offre pour que le Trésor rentre dans ses droits. Il est temps que les uns et les autres comprennent cela. Pour nous, un centime de l’État est toujours bon à récupérer parce que ça servira toujours pour le développement du pays, pour faire face au besoin du pays. Dans ce sens, nous ne sommes pas disposés à laisser des recettes continuer à dormir dans les poches des gens parce que, comme je l’ai dit, certains en ont fait un fonds de commerce. Imaginez que, lors de nos investigations, nous avons pu découvrir, par exemple, qu’une seule personne a émis près de 49 chèques en deux mois, 49 chèques revenus impayés. C’est la situation que nous avons découverte et, pour moi, il faut que cela s’arrête et que les Burkinabè reviennent à des fondamentaux d’honnêteté pour que le pays se porte mieux.

Sinon, on ne peut pas continuer à tolérer ces pratiques et tous les moyens, en tout cas, comme je l’ai dit, seront engagés. Nous avons donné le signal à travers cette mesure qui est prise. Déjà, c’est pour éviter de continuer à accumuler les chèques impayés. Et tout ce que nous avons accumulé jusque-là, le passif, le stock qui est là, en tout cas, toutes les mesures sont en train d’être envisagées pour arriver à l’apurer complètement. Donc, tous ceux-là qui ont pensé qu’ils ont posé des actes de délinquance et qu’ils peuvent dormir tranquille en exploitant l’État, ils l’apprendront à leur dépens parce que tout sera engagé contre eux pour permettre au Trésor public de rentrer dans ses droits. Dans le cadre des concertations que nous avons au niveau des Trésors publics africains, nous avons eu une grande réunion au cours du mois de mai. Et c’est à l’occasion que chacun a exposé son expérience. Donc chaque pays est allé avec ses propositions de solutions. Parce que ce que nous, nous vivons au Burkina, le phénomène des chèques revenus impayés, il y a beaucoup d’autres pays qui le vivent également. Et certains ont pris d’autres types de mesures. Mais nous, pour ce qui nous concerne, en tout cas pour le moment, nous sommes à l’aise avec tous les autres moyens de paiement. Mais malheureusement, le chèque a été dévoyé dans son utilisation pour devenir purement et simplement un moyen de délinquance. Et de ce point de vue-là, je pense qu’on ne peut pas continuer à tolérer cela. On est dans une situation où on n’est pas face à un problème de légalité. Il n’y a aucun souci dans ce sens. La mesure a été prise en toute connaissance de cause. Parce qu’il n’y a pas un problème d’illégalité, comme je l’ai aperçu dans certains commentaires, en voulant faire comprendre que le chèque est un moyen de paiement prévu par le texte. Oui. Mais quand il est dévoyé dans son utilisation, il faut se protéger. Donc c’est ce que cela aussi veut dire à travers la prise de cette circulaire qui vise à protéger l’État du Burkina Faso. S’il n’y avait pas les conséquences que je viens de relever, on pourrait continuer encore à apporter du crédit à ce chèque. Mais malheureusement, l’État a suffisamment souffert et il faut que des mesures soient prises pour atténuer ces effets négatifs.

Agence d’information du Burkina

Propos recueillis par Tilado Apollinaire ABGA

 

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