L'eau de ce puits artésien jaillit sans interruption toute la saison.

Eaux sacrées du Kénédougou : un trésor sous-exploité

Oradara,(AIB)-Dans la province du Kénédougou, plusieurs localités, notamment les villages de Kassanga et de Dissanga, abritent des forages et des sources d’eau artésiens d’où jaillit l’eau sans interruption depuis des décennies, sans recours à un mécanisme de pompage.  Ce phénomène naturel, à la fois fascinant et mystérieux, reste pourtant largement sous-exploité, alors qu’il pourrait contribuer à répondre aux besoins en eau, soutenir l’agriculture, renforcer la résilience face aux effets du changement climatique et dynamiser l’économie locale. Immersion au cœur de ces ressources en eau entourées de mythes et de croyances !

 Kassanga, village de la commune de Djigouèra, offre un spectacle naturel singulier. En cette matinée du dimanche 27 juillet 2025, il est 8h30 mns. Le soleil a déjà entamé sa course dans le ciel de cette localité verdoyante. Les oiseaux chantent. Le climat, le relief et la végétation offrent un décor naturel impressionnant. A quelques encablures du village, un « miracle » s’accomplit depuis des décennies : l’eau jaillit du sous-sol, de jour comme de nuit, même en saison sèche.

Pour les populations, le phénomène serait à la fois naturel et spirituel. Les récits autour de cette source naturelle sont multiples et variés.  Pour certains, c’est un don de la nature, pour d’autres, un lieu sacré. « Ce puits (parlant de la source dans la langue du terroir), je l’ai trouvé ainsi à ma naissance. Personne ne l’a creusé. L’eau coule toute l’année », confie Djata Traoré, une sexagénaire et représentante des femmes de Kassanga.

L’eau de ce puits artésien jaillit sans interruption toute la saison.

Le chef du village de Kassanga, Karim Traoré, raconte que dans les sillages du puits se trouve une touffe sacrée qui abrite des caïmans et des serpents boa réputés inoffensifs qui se laissent parfois observés en plein jour lorsqu’ils se montrent disposés à apparaitre. Mais ce lieu sacré, demeure interdit à toute personne animée par de mauvaise foi ou intensions prévient-t-il. Des propos corroborés par le chef de terre, Sy Traoré, qui confirme qu’au sein de la touffe, il existe un site d’adoration où des sacrifices sont périodiquement effectués afin de garantir la paix et la protection des lieux.

 

                        Des vertus thérapeutiques et miraculeuses évoquées

Non loin de là, à Dissanga, un village voisin, se dresse une source d’eau semblable. Son origine remonterait à 1983. Il est, lui également, chargé d’histoire.  Le chef du village, Mamadou Ouattara, un gendarme à la retraite, explique d’elle a été révélée lors d’un forage de recherche d’eau.   Dans son récit, il a souligné   le caractère sacré de ce puits. « Comme vous le savez, traditionnellement, lorsqu’un phénomène du genre se produit, les anciens se réunissent et effectuent des sacrifices », a-t-il expliqué.

Ibrahim AKa de l’AEM en appelle à une mobilisation active pour protéger ces ressources limitées essentielles.

Les populations de Kassanga et de Dissanga considèrent l’eau issue de ces sources artésiennes comme une eau bénite parce qu’elle surprend par sa nature, soulage par ses effets et touche le sacré par son lien avec la terre, les traditions et les rites. « C’est une eau pas comme les autres. Quand l’on boit l’eau de cette source, l’on se rend compte que c’est une eau de qualité. Elle a une saveur douce et particulière.

Le Directeur provincial en charge de l’eau du Kénédougou Mathieu Ouédraogo déclare que le phénomène résulte d’un processus géologique.

Elle nous soulage beaucoup. Des gens viennent de loin pour en chercher, afin de préparer des remèdes avec. C’est une eau utilisée souvent par certains maîtres coraniques non seulement pour laver les versets inscrits sur les « lawh » (NDLR, tablettes en bois), mais aussi pour se désaltérer et se purifier, montrant ainsi son importance dans leur quotidien », affirme Abdoulaye Traoré, secrétaire général du Comité de veille et de développement (COVED) de Kassanga.

Selon Mamadou Ouattara, chef du village de Dissanga, les puits artésiens sont devenus bien plus que de simples sources d’eau : ce sont désormais des lieux de rencontre et de cohésion sociale.  « Autour de l’eau, les tensions s’apaisent et les échanges entre les villages se renforcent », confie -t-il. Le chef Ouattara se souvient également qu’à l’époque, le personnel chinois travaillant dans la plaine rizicole de Banzon venait puiser l’eau de cette source naturelle, appréciée pour sa pureté et utilisée comme l’eau de boisson.

Aux dires du chef de terre de Kassanga Sy Traoré, il existe au sein de la touffe un site d’adoration.

                                   « Un processus géologique »

Le Directeur provincial (DP) de l’eau et de l’assainissement de l’environnement du Kénédougou, Mathieu Ouédraogo, explique que ce phénomène résulte d’un processus géologique précis. « Pour que l’eau remonte naturellement, elle doit d’abord s’infiltrer dans le sous-sol à travers différents types de sols perméables, jusqu’à atteindre une couche imperméable. L’eau y est alors retenue. Lorsque la pression devient suffisante, notamment en raison de l’accumulation où de rupture dans la structure au point que le niveau piézométrique est au même niveau que le sol, elle remonte spontanément », soutient-il.

Selon le chef de village de Kassanga Karim Traoré , l’accès demeure interdit à toute personne animée de mauvaise foi.

L’Agence de l’eau du Mouhoun (AEM), à l’instar des autres agences du pays joue un rôle clé dans la gestion et la protection des ressources en eau de sa zone de compétence couvrant le Kénédougou. Son Directeur des aménagements et de la protection des ressources en eau, Ibrahim Aka, apporte la nuance entre les sources naturelles et les forages artésiens. Ceux-ci, selon ses explications, présentent  un fort potentiel économique, social et environnemental. « Quand on parle de forage artésien on ne parle plus de phénomène naturel, car un forage artésien est un puits profond creusé mécaniquement à l’aide d’une foreuse pour atteindre une nappe souterraine captive (sous pression). L’eau peut remonter naturellement à la surface sans pompage, si la pression est suffisante. Cependant, les émergences communément appelées sources d’eau sont des écoulements naturels d’eaux souterraines qui apparaissent spontanément à la surface du sol, souvent au pied d’une colline dans une dépression ou ailleurs en fonction du complexe hydrogéologique précis », fait-il savoir.

                                 Source d’espoir pour les populations

 Gérard Dabini, environnementaliste en service à la direction provinciale de l’eau et de l’assainissement de l’environnement du Kénédougou, fait observer que l’eau issue d’un puits artésien présente un faible risque de contamination bactérienne. Selon lui, dans un contexte marqué par le changement climatique, ces points d’eau représentent un véritable atout stratégique. Ils garantissent un approvisionnement régulier en eau, même en saison sèche, contribuent au maintien des écosystèmes et offrent de multiples possibilités d’utilisation : eau potable, agriculture, élevage, pisciculture et tourisme écologique.

Djata Traoré ( Kassanga) a dit être née trouver ce puits artesien comme cela.

A Kassanga, tout comme à Dissanga ainsi que dans plusieurs localités de la province, les puits artésiens représentent une véritable source de soulagement pour les femmes, longtemps confrontées aux difficultés d’accès à l’eau potable. « Avant, il fallait parcourir une longue distance pour aller chercher de l’eau en dehors du village. Aujourd’hui, nous avons l’eau en abondance à proximité. Ce qui nous reste maintenant, c’est l’appui de l’Etat pour utiliser pleinement cette ressource qui coule sans cesse toute l’année, afin de développer des cultures maraichères autour de ces puits », confie Mariam Ouattara, femme leader de Dissanga. Pour les jeunes, ces sources d’eau sont porteuses d’opportunité. Ils y voient un levier pour réduire la dépendance de la saison pluvieuse, lutter contre l’exode rural et créer des emplois durables. « En saison sèche, je fais du maraichage et pendant la saison pluvieuse, je cultive du riz. Mais sans accompagnement technique et financier des autorités, on se retrouve parfois bloqué », déplore Yacouba Barro, diplômé en anthropologie, résidant à Kassanga.

                           Des ressources sous-exploitées

 Sur le terrain, la réalité est bien loin des espoirs suscités par les forages et puits artésiens disséminés à travers les localités de la province. Loin de constituer des pôles de développement, ces infrastructures offrent un spectacle désolant. L’eau coule continuellement, mais aucun projet structurant n’a été lancé à proximité. Les raisons avancées par les populations sont multiples. Certains pointent du doigt le manque de soutien et d’accompagnement de l’Etat, tandis que d’autres évoquent une absence d’appropriation locale. A cette préoccupation, les autorités communales de Djigouèra sont restées silencieuses, malgré nos sollicitations.  Pourtant, des initiatives ont bien vu le jour.

Arouna Traoré allias le marcheur du Kénédougou déplore la perte de cette eau qui coule mais sous – exploitée.

Arouna Traoré, surnommé « le marcheur du Kénédougou », rappelle qu’en 2014, lui et certains de ses camarades ont lancé un projet de sensibilisation autour du forage artésien de Dissanga. Baptisé « Dji Sènè », ce projet qui signifie « Culture de l’eau » en langue dioula portait sur la gestion des ressources hydriques, le jardinage et l’implantation d’une unité de production et de commercialisation d’eau minérale. Le financement n’avait pas été entièrement réuni, mais les activités avaient tout de même pu démarrer avec les moyens de bord. Au fil des années, le projet a fini par s’arrêter pour des problèmes de gestion. « En tant que natif du village, la perte de cette eau me ronge et me dérange beaucoup », regrette Arouna Traoré.

: Le forage artésien de Dissanga est situé en plein cœur du village.

Selon le Directeur provincial en charge de l’eau et de l’assainissement de l’environnement du Kénédougou, Mathieu Ouédraogo, ces sources pourraient théoriquement alimenter l’ensemble de la population de la province. Pourtant, malgré leur nombre considérable, le taux d’accès à l’eau potable au niveau provincial reste inférieur (62,3%) à la moyenne nationale (71,3%), regrette-t-il. A ses yeux, les puits artésiens représentent une opportunité stratégique pour améliorer la couverture en eau potable, soutenir l’agriculture locale mais aussi créer des points d’abreuvement pour le bétail dans cette zone à forte vocation agropastorale.

                                      Des facteurs de blocage

Au-delà des aspects techniques, le poids des croyances traditionnelles constitue un facteur de blocage non négligeable. En effet, précise le DP en charge de l’eau, dans certaines localités, l’exploitation de ces sources d’eau artésiennes est formellement interdite par les populations elles-mêmes. Elles considèrent ces lieux comme sacrés et refusent leur accès au grand public. En conséquence, de nombreux puits coulent continuellement sans jamais être utilisés.

 

Du côté du secteur agricole, le constat n’est guère optimiste. Le directeur provincial en charge de l’agriculture du Kénédougou, Gassi Lougué, affirme qu’à ce jour, l’eau des puits est utilisée à 85% pour l’approvisionnement en eau potable, 10% pour l’abreuvement du bétail et seulement « de manière marginale » pour l’agriculture notamment la production végétale. Selon lui, si certains forages communautaires ont déjà été mis à profit dans des projets agricoles, les résultats sont restés en-deçà des attentes. Il cite notamment les cas de Fon dans la zone de Banflagouè (commune de Kourinion) et de Dissanga où les initiatives ont tourné court.

Pour le chef de village de Dissanga Mamadou Ouattara , ces puits artésiens sont devenus plus que de simples sources d’eau mais des lieux de rencontre et de cohésion.

En cause : des défauts d’aménagement et un manque d’appropriation locale. Une autre difficulté de la sous exploitation des forages artésiens évoquée par M. Logué est l’absence de terre agricole facilement aménageable dans les proximités des sites des forages qui sont autour des concessions. Dans la même veine, le directeur des aménagements et de la protection des ressources en eau de l’AEM, Ibrahim Aka, renchérit qu’à Fon, un aménagement hydraulique multi- usages avait été réalisé par le gouvernement avec l’appui des partenaires mais l’ouvrage souffre aujourd’hui de dysfonctionnements majeurs qui freinent son exploitation. Face à cette situation, une réhabilitation estimée à 220 millions F CFA est programmée d’ici fin 2025.

Ibrahim Aka en appelle à une mobilisation active pour la protection de ces ressources limitées, essentielles, dit-il, à la stabilité sociale, à la sécurité hydrique et au développement durable de la région.

Face à la nécessité de mieux exploiter le potentiel, les voix s’élèvent. Communautés locales, élus de proximité et acteurs techniques s’accordent sur une évidence : seule une mobilisation collective permettra une valorisation durable de cette ressource. En attendant, les populations plaident pour leur transformation en système d’Adduction d’eau potable (AEP) multi-usages, mais aussi pour la création d’unités locales de production d’eau minérale. Elles appellent de tous leurs vœux un accompagnement technique et financier de l’Etat et de ses partenaires pour initier des projets viables autour de ces sources d’eau. Avec une gestion optimale, ces ressources pourraient devenir un véritable levier de développement local.

Agence d’information du Burkina

Apollinaire KAM

AIB/Kénédougou

kam.apollinaire.703@gmail.com

 

 

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