Passoré : Les élèves déplacés du site d’or de Bouda entre espoir et désespoir
Yako, 13 avril 2021(AIB)-Les 142 ménages qui ont fui les attaques terroristes pour se réfugier depuis trois ans, sur le site d’orpaillage artisanal de Bouda, dans la commune de Yako, ne sont pas encore au bout de leur calvaire. L’absence de soutiens conséquents et de conditions de vie honorables, ajoutés aux manques d’infrastructures et de ressources pour scolariser leurs enfants, assombrissent leurs espoirs.
Jeudi 25 mars 2021, nous sommes dans l’univers des déplacés internes installés sur le site d’orpaillage de Bouda, à moins de 100 km de la capitale du Burkina Faso. Sur ce site d’or, environ 142 ménages déplacés internes (MDI) complètement démunis, sont relogés depuis trois ans.
Parmi eux, des enfants scolarisés, des non scolarisés attendent eux aussi, l’âge d’aller à l’école. Le constat qui se dégage à vue d’œil, est que la ménopause n’est pas au rendez-vous chez certaines épouses sur les lieux.
Toute chose qui va sans doute augmenter annuellement et de manière exponentielle les chiffres de ces enfants et élèves déplacés internes (EDI), si rien n’est fait pour délocaliser les parents dudit site.
En dépit de leur pauvreté, chaque ménage nourrit l’espoir de placer ses enfants dans les centres d’alphabétisation formelle.
Parmi ces enfants, on peut compter un grand nombre d’EDI et les chiffres fournis par le service de la solidarité, et de l’action humanitaire de la direction provinciale en charge de l’Action sociale du Passoré, font cas d’une centaine élèves déplacés internes à Bouda. Mais le manque d’infrastructures éducatives est criard dans la localité.
Les EDI sont obligés de converger vers Yako où ils espèrent rencontrer de bons samaritains. Les parents d’élèves, conscients de leur lourde charge, n’ignorent pas les conséquences négatives de cet environnement aurifère sur l’avenir de leurs progénitures.
Noaga Kouraogo est l’un des déplacé internes (DI) ayant fui Arbinda dans le Sahel avec ses deux épouses ainsi que ses huit enfants.
Le quinquagénaire relate avec grand chagrin, son arrivée sur le site et le problème de scolarisation de ses enfants. Six de ses enfants ont pu être inscrits à l’école grâce Angèle Zida, promotrice d’un complexe scolaire préscolaire et primaire privé situé au secteur 2 de Yako.
«Depuis que je suis ici, je n’ai jamais entendu que quelqu’un est venu apporter son aide aux personnes déplacées internes (PDI). Je n’ai plus de force pour chercher l’or. Je me contente de laver la terre en espérant extraire du minerai, qu’on ne gagne même plus», narre-t-il.
Tout Comme lui, Abdoulaye Korgbéogo est venu de Tongomayel dans la commune de Djibo avec ses quatorze enfants et ses quatre épouses. Faute de moyens, seulement cinq ont pu avoir accès à l’éducation formelle.
Se fondant en larmes, M. Korgbéogo dit assurer la scolarité de ses enfants avec difficultés. En plus de ces deux chefs de ménages, le constat demeure le même chez d’autres parents des élèves déplacés internes.
La situation reste également critique chez les deux veuves Sarata Zango et Awa Sawadogo sur le site. Elles ont fui les attaques terroristes pour se retrouver à Bouda. Les deux mères signalent inscrire chacune au moins deux enfants à l’école malgré leurs conditions de vie difficiles.
Aicha Ouédraogo, une fille déplacée fait partie des 68 élèves du complexe scolaire privé Sainte Géneviève de Yako. Elle rallie au quotidien le site de Bouda à Yako avec un minibus mis à la disposition par la promotrice de ladite école Angèle Guigma épouse Zida.
Contente de reprendre le chemin de l’école, elle avoue que sans «Mme Zida, elle serait en train de cherche l’or avec sa maman».
Il en est de même pour l’élève Rachidatou Korbéogo de la même école, inscrite au cours moyen deuxième année(CP2). Elle exhorte les bonnes volontés à soutenir la promotrice de l’école. «Je demande de la nourriture, des fournitures, des chaussures et des habits.», plaide-t-elle.
Aucun soutien de la part des ONG humanitaires
Tous les parents d’élèves déplacés internes déplorent le manque de soutien depuis leur arrivée sur le site d’or de Bouda. Pour eux, ils font quotidiennement face à d’énormes difficultés liées entre autres à l’alimentation et à la scolarisation de leurs enfants.
Ils soutiennent que leur présence sur ce milieu hostile à l’éducation familiale, n’est pas sans conséquences sur leurs enfants.
«Je ne suis pas allé loin à l’école. Mais mes enfants avaient été inscrits avant que nous venions ici. Je sais bien que je ne peux pas éduquer mes enfants dans cet environnement» indique Rabiatou Korbéogo.
Au sujet des EDI vivant sur le site aurifère, le service de la solidarité de l’Action sociale du Passoré dit être conscient de la problématique de la scolarisation des enfants déplacés internes de la localité.
Selon Djamilatou Konaté du service en charge de la solidarité de la province, les parents des élèves déplacés internes sont confrontés entre autres aux problèmes d’éducation, d’eau et des latrines.
«Il y a aussi le volet sanitaire car beaucoup d’enfants tombent malade alors que les parents n’ont pas les moyens pour les soigner. Ce n’est vraiment pas facile surtout lorsqu’on quitte une localité à une autre d’où l’on est sans emploi», dit dame Konaté.
Elle explique que certains établissements scolaires publics ayant accueilli les EDI, se plaignent de l’arrivée tardive de la cantine.
Et de poursuivre que pour raisons de COVID-19, certains établissements privés pilotés par des partenaires internationaux ont été confrontés à des difficultés de prise en charge des enfants.
«Dans certaines écoles, des promoteurs privés comptant sur leurs partenaires (ONG européenne) étaient obligés de demander une contribution financière aux parents à cause de la maladie à coronavirus qui a endommagé leurs capacités financières. Toute chose que les parents ne peuvent pas honorer» renchérit Djamilatou Konaté. De son avis, cette difficulté financière a contraint bon nombre de parents à se réinstaller sur le site de Bouda, car ils étaient au préalable dans des sites aménagés à Yako.
Il faut garantir le droit des enfants à l’éducation.
A la Direction provinciale en charge de l’éducation préscolaire primaire et non formelle du Passoré (DPEPPNF), des initiatives semblent être mises en place pour offrir un cadre d’épanouissement aux EDI dans les zones d’accueil. A en croire, le DPEPPNF, du Passoré, Clément Saga Ouédraogo, des mesures sont prises pour faire face aux besoins en fournitures scolaires desdits élèves.
Cela passe d’abord par leur recensement. A cet effet, il dit avoir donné des instructions «fermes» aux inspecteurs chefs de circonscription d’éducation de base (CCEB) d’accueillir les enfants désireux de poursuivre leurs études quelles que soient les conditions de leur arrivée.
A en croire, M. Ouédraogo des problèmes de table-bancs, d’effectifs dans les classes et de besoins d’enseignants, s’imposent car selon lui, les déplacés internes n’arrivent pas à une période précise de l’année.
Clément Saga Ouédraogo révèle que face à la situation, les autorités provinciales en charge de l’Education doivent renforcer dans l’immédiat les infrastructures d’accueil avec des enseignants pour une éducation de qualité.
Il signifie qu’un autre défi se pose notamment la prise en charge psychologiques desdits élèves.
«Un enfant qui a vécu des scènes de menaces, parfois de mort à l’endroit de leurs géniteurs, ne peut qu’être psychologiquement instable. C’est pourquoi, nous demandons toujours aux enseignants de faire en sorte que ces derniers ne se sentent pas différents des autres», exhorte-il aux encadreurs.
Le site d’or qui a une influence sur les élèves et les enfants, inquiète également la médecin chef du district sanitaire de Yako (MCD), Dr Isabelle Ouédraogo.
Dr Ouédraogo souligne que les déplacés encourent certaines pathologies liées au manque d’hygiène des lieux, à savoir les maladies diarrhéiques ainsi que celles respiratoires, les infections sexuellement transmissibles(IST) et le VIH/SIDA, la prostitution etc.
«Il faut noter que l’âge de ces enfants n’est pas indiqué pour l’orpaillage mais en restant dans ce milieu, cela pourrait les détourner du chemin de l’école. Aussi, le fait qu’ils auront envie de se distraire à travers les jeux d’enfants qui pourraient occasionner des blessures ou des traumatismes. De même, leur fragilité peut les exposer aux actes de viol parce que leur milieu de vie n’est pas totalement sécurisé», regrette-t-elle.
Ce faisant, la Direction provinciale en charge de l’Action humanitaire demande aux ONG qui interviennent dans le domaine de réagir «urgemment» en faveur des déplacés internes présents sur le site d’orpaillage traditionnel de Bouda.
«Il faut que ces ONG reconsidèrent ces PDI parce que nous avons rencontré certaines ONG qui ne les considère pas comme des personnes vulnérables, en affirmant qu’elles gagnent leur pain dans l’orpaillage. Ce qui n’est pas tout pas juste», conclu Djamila Konaté.
Zézouma Elie SANOU
(AIB Yako)