Burkina : Boureima Coulibaly suggère aux enseignants le don de soi pour rehausser le niveau de l’enseignement

Ouagadougou, 14 Juin 2019 (AIB)-Dans une interview accordée mercredi 11 juin 2019 à Bobo-Dioulasso à un correspondant de l’AIB, le meilleur enseignant de CM2 de l’année dernière Boureima Coulibaly suggère aux enseignants burkinabè, un don de soi pour rehausser le niveau de l’enseignement national.

L’enseignant Boureima Coulibaly et ses élèves de la session 2019 du CEP

Pouvez-vous vous présenter et tracer un résumé de votre carrière ?

Je suis M. Boureima Coulibaly, instituteur à l’école primaire privé Alpha Solidarité B à Bobo-Dioulasso. J’ai d’abord effectué le service national populaire à partir de l’année  1992. Après, je me suis retrouvé ici à Bobo-Dioulasso où j’ai pris contact avec le fondateur de l’école dans laquelle je suis jusqu’à présent (l’école primaire privé Alpha Solidarité B à Bobo-Dioulasso). Après des échanges, j’ai été employé dans l’école, d’abord en tant que stagiaire de 1996 à 2000 puis j’ai ensuite été titularisé. Cette année scolaire, nous avons 13 classes dans l’école et pour mieux gérer les effectifs, l’école a été scindée en deux groupes avec un responsable pour chaque groupe. Vu mon ancienneté, je suis actuellement le responsable des enseignants  du groupe B.

Vous avez réalisé 100% avec un effectif de 120 élèves au cours de l’année dernière. Avez-vous encadré ces élèves depuis le CP1 ou est-ce seulement au CM2 que vous les avez pris ?

Les élèves que j’ai encadré l’année dernière, c’est au CM2 que je les ai pris et nous avons passé l’année ensemble.

Cela suppose qu’ils avaient une bonne base en arrivant au CM2 ?

Naturellement, les classes antérieures ont été aussi bien suivies. C’est comme une course de relais ou c’est au CM2 qu’on essaie de voir la capacité maximum des enseignants. Aussi au CM2, on a toujours privilégié l’expérience afin de pouvoir bien faire les finitions.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans votre classe de CM2 de l’année dernière ?

Les difficultés ne manquent pas. Aussi bien dans  les classes de CM2 que dans les classes intermédiaires, le maitre va toujours rencontrer des difficultés. Il faudra qu’il sache s’organiser, bien organiser la classe et c’est au bout de cet effort là qu’il pourra faire de bons résultats.

L’encadrement des enfants n’est pas facile et malgré cela, vous avez réussi à obtenir un résultat de 100% avec 120 élèves. Est-ce un résultat extraordinaire ?

D’aucuns pourraient penser que c’est extraordinaire mais pour l’enseignant, s’il a pu s’organiser dès le départ pour connaitre chaque enfant, il peut les conduire à bon port comme le berger avec son bâton, qui arrive à mener à bon port tout un troupeau d’animaux. D’abord, il faut que l’organisation soit bien faite dès le départ, ce qui n’est pas facile parce qu’il faut apprendre à connaitre chaque enfant individuellement. Ensuite, il faut les organiser afin qu’eux-mêmes puissent s’entraider. Dans la classe, on constitue des groupes de travail et dans chaque groupe, il y a un responsable qui remplace le maitre valablement et de compte rendu en compte rendu, on peut arriver à cerner l’ensemble des élèves. Le maitre devient dans ce cas, l’organisateur principal. A partir du compte rendu des chefs de groupes, le maitre a une bonne idée sur chacun des élèves qui se trouve dans sa classe. Le travail ainsi organisé, cela pourrait bien marcher.

Combien de groupes avez-vous formé pour mieux canaliser votre classe ?

Dans notre domaine, on parle de méthode. Il y a de grands groupes, des groupes moyens et des groupes minimes. Les grands groupes peuvent être constitués de dizaines d’élèves. On prend ensuite la moitié de ces grands groupes pour constituer les groupes moyens et les petits groupes sont constitués de deux à trois élèves. Selon la difficulté des matières, on essaie de voir est ce qu’il faut travailler en grand groupe ou en groupe moyen ou en petit groupe. C’est la conjugaison de toute cette organisation qui dicte la ligne de conduite à tenir.

Comment avez-vous vécu la reconnaissance de votre travail par l’Assemblée nationale?

C’était extraordinaire parce que je ne m’attendais pas du tout à une telle distinction. Au départ quand on nous a convoqués pour une histoire d’excellence à Ouagadougou, j’ai failli ne pas partir parce que je me disais est ce que ce sera quelque chose d’intéressant. Il faut dire que j’ai un peu l’habitude de ces cérémonies dans la région ici à Bobo-Dioulasso. Vu l’encouragement de mon patron, j’ai décidé d’y aller. Jusqu’à l’instant où j’ai entendu que j’étais le meilleur de l’année, je n’en croyais pas mes oreilles. Je me suis dit que c’est arrivé et c’est comme ça. J’étais vraiment enchanté.

Après une telle distinction, est-ce qu’on se dit que c’est plus de responsabilités qu’on a sur les épaules ?

Cette impression doit être naturelle pour quelqu’un qui a le souci d’aller toujours de l’avant. Reconnaitre des mérites en toi, ne veut pas dire qu’on doit baisser les bras. Je me dis que c’est un appel à mieux faire et faire encore de l’extraordinaire. C’est toujours mon objectif.

Quel est la plus-value que la reconnaissance vous a apportée ?

Plus de courage et de reconnaissance parce que je suis devenu une référence pour mes jeunes collègues. D’aucuns me demandent comment j’ai fait. Je reçois des visites de jeunes collègues pour des conseils, j’essaie de faire de mon mieux pour les guider afin que le succès soit au bout de l’effort parce que c’est surtout le courage qui compte.

 

Est-ce qu’il y a eu une coordination du travail entre vous enseignant de CM2 et vos collègues qui tiennent les classes inférieures qui a favorisé ce succès ? 

C’est une organisation qui se met en place depuis le CP1. Si les enseignants des classes inférieures si mettent, nous, nous arrivons à mieux organiser les enfants  lorsqu’ils arrivent dans les grandes classes que le CM1 et le CM2. Comme ces grandes classes sont les terminus du cursus primaire, l’administration essaie de voir parmi les enseignants les plus aguerris, pour les confier ces classes afin que les élèves puissent se mettre au travail. Depuis le CP1 jusqu’au CM2, il y effectivement une coordination. En tant que responsable des cours, il arrive que de temps à autre, on se donne des conseils dans les différentes classes pour pouvoir bien exécuter le travail afin qu’arrivé au CM2, la tâche soit moins dure sinon ce n’est pas du tout facile.

 

A cette étape de votre carrière, quelles sont les objectifs que vous vous fixez pour la suite ?

C’est toujours essayer de persévérer et ne pas se dire que parce qu’il y a eu du succès dans le parcours qu’on va baisser les bras. C’est toujours essayer de faire mieux et d’essayer d’aider le maximum d’enfants et si possible les jeunes élèves qui souhaiteraient embrasser la carrière d’enseignant.

On constate au Burkina Faso, une baisse du niveau des élèves de façon générale. Selon vous quelle stratégie choc doit-on mettre en place pour renverser la tendance ?

Le don de soi et la vocation pour le métier sont les seuls recours qui peuvent amener à rehausser le niveau de l’enseignement surtout avec les effectifs très élevés dans nos classes. Il faut avoir l’amour des enfants et du travail. Malheureusement Il y a beaucoup qui viennent dans l’enseignement pas par vocation mais plutôt par manque de travail. Donc si l’enseignant n’a pas la volonté de faire le travail, ce sera très difficile. Il va rester dans le tâtonnement, tantôt il veut, tantôt il ne veut pas. Et même s’il veut, il est découragé par d’autres facteurs. Si cet aspect est corrigé, les enfants pourraient être très bien formés.

Quel peut être alors le rôle des autres acteurs ?

Au niveau supérieur, si les politiques pouvaient bien écouter les enseignants avant de dicter les politiques d’éducation, cela pourra à mon sens alléger notre travail d’enseignant.  A partir de là, on pourra espérer un bon encadrement et une bonne formation des enfants parce que souvent les changements brusques de politiques d’enseignements posent beaucoup d’entraves par rapport au travail même de l’enseignement. Les politiques doivent aussi œuvrer pour que les enseignants travaillent dans de très bonnes conditions. Ils doivent revoir les conditions d’accompagnements des enseignants surtout encourager ceux qui s’adonnent à ce travail fastidieux pour qu’ils puissent inculquer l’amour de l’enseignement aux jeunes collègues qui vont venir. Tous ces aspects pourront donner plus de tonus à l’enseignant  dans notre pays.

Quels sont vos rapports en tant qu’enseignant avec les parents d’élèves ?

Il y a beaucoup de parents qui ont vraiment démissionné. Ici à l’école primaire privé Alpha Solidarité B à Bobo-Dioulasso, on est obligé chaque fois de se déporter dans certaines maisons pour savoir pourquoi tel enfant n’est pas venu à l’école. Des fois, le parent même ne sait pas pourquoi, son enfant n’est pas venu à l’école. Ce sont des situations très difficiles parce que beaucoup de parents ne voient pas jusqu’à présent, leur partition dans l’encadrement de leurs enfants pourtant l’éducation commence à la base à la maison.  Il faut qu’on arrive à sensibiliser les parents pour les faire comprendre que ce n’est pas seulement à l’école qu’il faut essayer de donner l’envie et le courage à l’enfant de s’intéresser à ses devoirs mais que cela doit commencer depuis la maison. Si on pouvait sensibiliser les parents pour les demander de participer activement à l’encadrement de leurs enfants, cela serait aussi une très bonne chose pour la réussite des enfants à l’école.

Parlez-nous de la classe de CM2 que vous avez encadré cette année ?

Cette année, j’ai toujours une classe de CM2, j’essaie de faire comme dans mes habitudes à savoir emmener chaque élève à un niveau maximum. Vu la distinction de l’année  passée, je crois que tous les élèves me regardent et les parents d’élèves aussi. Le score de l’année dernière n’était pas un miracle mais avec les enfants, les promotions se suivent mais ne sont pas les mêmes. On peut tomber sur une promotion mieux aguerrie qu’une autre. Il y a aussi des élèves qui font toujours des surprises. Je pense que cette année, on va faire de bons résultats avec mes 117 élèves. Comme c’est un travail de long parcours, c’est depuis la rentrée que le travail commence, on espère qu’à l’heure, où nous en sommes, les élèves sont confiants et chacun doit avoir le goût de réussir. Avec cela, je pense qu’on va pouvoir faire un très bon résultat.

On remarque que depuis quelques années, il n’y a plus de chicottes à l’école. Est-ce que cela a apporté un plus à l’enseignement ?

La chicotte est un mal nécessaire surtout pour des enfants qu’on accueille de gauche à droite. Ils viennent avec des comportements différents et le maitre doit les canaliser pour qu’ils soient tous sur la même longueur d’onde. Je pense que la chicotte peut un tant soit peu dissuader mais c’est surtout l’abus qui n’est pas bon. En son temps, on sait ce que les chicottes ont apporté à l’école primaire mais de nos jours avec la fragilité des enfants, ce n’est pas vraiment prudent donc l’accepter en classe, à mon niveau, c’est un dilemme. La problématique, pour l’enseignant, est d’arriver à se contrôler et ne pas en abuser, c’est là, la question et cela dépendra du tempérament de chaque maitre dans sa classe.

Que pensez-vous de l’enseignement des enfants dans leurs langues maternelles ?

Si depuis la base, au CP1, l’enfant pouvait s’exprimer dans sa langue maternelle pour recevoir les connaissances, ça pourrait bien faciliter les  choses. Si on pouvait mettre l’accent dessus, cela allait réduire considérablement les actions que les enseignants sont emmenés à faire. En effet, les enseignants doivent d’abord apprendre la langue à l’enfant et ensuite utiliser cette langue pour le former alors que si c’est dans sa langue maternelle, je pense qu’on aura seulement à faire la moitié du travail.

Des élèves dans certaines localités du Burkina Faso sont privés de leur droit à l’éducation du au terrorisme. Quel ressenti cela vous fait en tant que formateur ?

Cela nous fait tous mal. Je suis vraiment très touché vu la valeur de l’école et de l’éducation qu’ils allaient recevoir. Comme tous les autres éducateurs, cela me fait un grand pincement au cœur parce que ce n’est pas normal. On est en train de brimer ces enfants pour des choses dont ils n’en sont pas auteurs. Si on pouvait utiliser tous les moyens nécessaires pour permettre à ces enfants de répartir à l’école, ce sera une très bonne chose. Avec la fermeture de ces écoles, c’est comme si le développement était en quelque sorte suspendu dans ces zones de notre pays et cela est très dangereux parce qu’on se sait pas ce que ses enfants vont devenir. Si les autorités du pays pouvaient faire tout ce qui est en leurs pouvoirs afin de permettre à ces enfants de jouir de leur droit à l’éducation, tout le pays sera soulagé. Mon grand souhait est que tous ces enfants retournent à l’école et qu’ils aient la tranquillité afin de pouvoir bien suivre leur formation. Comme on le dit, chaque enfant qu’on enseigne, c’est un homme qu’on gagne. Aussi, s’il y en a qui sont privés de cet enseignement, celui veut dire que c’est une grande perte et un danger pour tout le pays. On espère que cette situation va se résoudre le plus tôt possible.

Les années scolaires sont aussi régulièrement marquées par des perturbations à tel point qu’au mois de décembre de chaque année, il n’y a pratiquement plus cours. Comment sortir de cette situation ?

C’est un constat très amer. On dit que l’année scolaire fait neuf mois alors qu’en réalité, le temps que nous avons pour faire le travail  ne dépasse même pas cinq mois. Donc, le travail ne peut pas être bien fait et finalement chacun enseignant se débrouille comme il peut pour terminer son programme et cela n’est pas vraiment intéressant.

Votre dernier mot

C’est lancer un appel à tous les enseignants de ne pas se décourager car notre travail est tellement fastidieux qu’à un certain moment, si on ne prend pas le courage en main, on risque de sombrer dans le découragement et cela ne peut pas du tout mener notre éducation à bon terme. Nous allons toujours essayer de faire violence sur nous-mêmes et essayer de remonter les défis. J’encourage tous les enseignants car c’est un travail ingrat mais pour l’amour des enfants, on peut toujours essayer de persévérer et d’apporter notre pierre à la construction du pays parce que si les enfants sont bien encadrés, c’est tout le pays qui gagne.

Agence d’information du Burkina

Interview réalisé par

Wurotèda Ibrahima SANOU

Ndlr: Joint au téléphone par l’AIB, à l’issue de la proclamation des résultats de la session 2019 du CEP, l’enseignant Boureima Coulibaly a fait remarquer qu’il n’a pas pu réaliser cette année, le taux de réussite de 100% souhaité. Une quinzaine d’élèves de sa classe (sur les 117) ont échoué à leur examen, occasionnant un taux de succès de moins de 90%. Le taux national de réussite au CEP 2019 est de 55,11%, contre 64% en 2018.

 

1 COMMENTAIRE

  1. Bravo à Monsieur Coulibaly.
    Il a parfaitement raison de dire que l’enseignement est le seul moyen pour nous, enseignants, d’assurer un bon avenir à nos enfants pour espérer le développement de nos Pays.
    On ne peut certes pas payer l’enseignant à hauteur des sacrifices inhérents à son métier; il faut seulement reconnaître ses droits et mérites, et le rétribuer en conséquence, matériellement et moralement, à l’instar des autres corps de métier; le mettre dans des conditions telles qu’il puisse fièrement inciter d’autres à rejoinder la profession, en retour de la reconnaissance que lui témoigne ainsi la Nation. Considérer l’Éducation comme un secteur non productif c’est ignorer tout de ce qu’implique le développement.

    Encore une fois, tous mes encouragements à Monsieur Coulibaly et que vive le BURKINA!

    Pierre Claver POUYE
    Inspecteur Général de l’Éducation et de laFormation
    Dakar, SÉNÉGAL

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