8. Les tirs de sommation effectués par l’Armée française a occasionné cinq blessés dont quatre par balles réelles.

Blocus du convoi militaire français à Kaya : Retour sur des chaudes journées

 Kaya, 22 déc. 2021(AIB)-Du 18 au 20 novembre 2021, la ville de Kaya dans le Centre-nord du Burkina Faso, a été secouée par de violentes manifestations contre le passage d’un convoi militaire français. Un mois après ces évènements inédits, l’AIB est allé aux nouvelles des blessés et a cherché à comprendre les raisons de ses hostilités.

 

                              La politique anti-terroriste française décriée

Il est 12heures 37minutes, ce samedi 20 novembre 2021, Le soleil est au zénith. Nous sommes au troisième jour du blocus imposé par des populations de  Kaya au convoi militaire français, long sur plus de 5 km, en partance pour Gao au Mali, via le Niger.

Devant le parking où est retranchée l’armée française, la pression des manifestants augmente quotidiennement  sur elle.

En effet, durant les trois jours du blocus, les manifestants ont menés plusieurs actions pour exprimer leur ras-le-bol contre la politique française de lutte contre le terrorisme Sahel.

Des personnes déplacées internes (PDI)  ont participé activement aux protestations.

«Les PDI sont les premières victimes des attaques terroristes. De ce fait, nous ne pouvons pas rester insensibles face à la lutte des populations-hôtes qui, d’ailleurs, nous soutiennent», justifie Saidou François Sawadogo, un  cinquantenaire ressortissant de Barsalogho.

D’après eux, l’armée française est de «connivence» avec des groupes armés terroristes dans le Sahel.

4. Mahamado Ouédraogo se balade toujours avec une balle dans sa joue droite.

«Des informations nous reviennent régulièrement que les armes et munitions que nos FDS et Volontaires pour la défense pour la patrie (VDP) récupèrent des mains des terroristes, sont dans la plupart des armes de marque française… Parce que, parmi ces FDS et VDP, nous avons des amis, parents… que nous vivons ensemble. Par conséquent, ils nous disent tous ce qui se passe sur le terrain», s’insurge Mahamado Ouédraogo, vendeur d’accessoires de téléphones portables à la gare routière du Sanmatenga.

Même son de cloche pour Moumouni Sawadogo ayant fui les exactions des terroristes.

«Lorsque les français ont effectué les tirs de sommation. Les crépitements des armes ressemblent à ceux des armes des terroristes. C’est avec la complicité des français que les terroristes attaquent nos villages, tuent les populations civiles et FDS, pillent nos richesses et brûlent nos maisons», fait-il savoir, sous forte émotion.

Mohamed Bachirou Tonrogbo pointe également un doigt accusateur : «A chaque fois qu’un convoi militaire française passe ici sous escorte de nos FDS, à leur retour, nos FDS sont victimes d’une attaque terroriste meurtrière. De même, après leur passage, les jours suivants des villages de la région du Sahel subissent la furie des terroristes. Selon les informations reçues, c’est l’armée française qui les livre du matériel de guerre», souligne Mohamed Bachirou Tonrogbo.

2. Mohamed Bachirou Tontorogbo : «J’ai reçu deux balles sur la plante de mon pied gauche».

En guise de provocation, les manifestants ont, entre autres, incendié le drapeau français et un poster du président français, Emmanuel Macron avant d’immolé une chèvre peint aux couleurs du drapeau français.

Une fois la nuit tombée, les militaires français sont, jusqu’au petit matin, étouffés par des fumées  des pneus «assaisonnées» de piments secs offerts gracieusement par un vieillard déplacé interne.

Les manifestants tiennent à inspecter tous les containers. «Nous ne les empêchons pas de continuer leur chemin. Nous voulons s’assurer que ce convoi ne transporte pas des armes, des munitions, des motos, des médicaments, etc. au profit des terroristes», arguent la plupart des manifestants.

Les esprits se surchauffent entre manifestants et Forces de l’ordre burkinabè, qui en premier plan, tentent «impuissamment» de contenir les manifestants.

Les soldats français sont «acculés» dans leurs derniers retranchements.

Ils multiplient les stratégies de dissuasion. Des chiens enchaînés sont emmenés tout près du grillage pour apeurer les manifestants. Peine perdue ! Certains manifestants veulent même les faire passer à la marmite.

Les soldats français sont donc contraints de mettre leurs compagnons à l’abri. A chaque fois que les Français brandissent des actes d’intimidation, les manifestants entonnent l’hymne national, leur source d’inspiration.

Désespérés, les soldats français procèdent aux premiers tirs de sommation. C’est la débandade !

Quelques temps après, par le biais de coups de fils ou à travers les réseaux sociaux, la remobilisation est lancée. Des centaines de personnes fusent de partout pour rejoindre le lieu du blocus. La tension est à son comble.

Des «éléments» de la Brigade anticriminelle (BAC), une unité d’élite de la police nationale burkinabè,  munis de gaz lacrymogène, de matraques et de casques de protection, peinent à contenir la foule en furie.

Panique ou coup de soleil, deux soldats français s’évanouissent. Un hélicoptère de combat français atterrit. Ils sont évacués en urgence. Un autre sillonne  les alentours.

                                                      Des tirs et des blessés

Des jets de pierres s’enchaînent en direction du convoi. «Visages crispés», des militaires français, armés jusqu’aux dents, effectuent une fois de plus des tirs de sommation.

Bilan : cinq manifestants blessés dont quatre par balles et un par bousculade. Transportés, en tricycle ou à motos, les blessés graves bénéficient des premiers soins à l’infirmerie militaire de Kaya. Ils sont par la suite transférés par l’ambulance des bérets rouges au Centre hospitalier régional de Kaya (CHRK).

Selon le chirurgien orthopédique-traumatologue du CHRK, Dr Jean Baptiste Vallian, parmi ces cinq blessés, trois ont subi une intervention chirurgicale.

Mohamed Bachirou Tontorogbo résidant au secteur n°1 de Kaya, a reçu deux balles sur la plante du pied gauche.

«J’étais assis de l’autre côté du goudron en train de discuter avec un petit. C’est au moment où je me suis levé pour me mettre à l’abri, parce que les tirs de sommation s’intensifiaient, que les balles ont arrosé mon pied», déplore-t-il.

«La balle est logée dans une zone  péri-osseuse au niveau de la mandibule. Nous ne l’avons pas retirée, parce que pour la retirer, il fallait inciser large alors que l’orifice d’entrée est très petit. Donc, nous avons préféré faire un pansement et après, normalement, l’organisme rejettera la balle. Quand elle sera en sous-cutanée, nous allons l’enlever», explique Dr Vallian.

9. Le chirurgien orthopédique-traumatologue, Jean Baptiste Vallian souhaite le renforcement du plateau technique et du personnel soignant.

Parmi les manifestants blessés, figurent également des Personnes déplacées internes (PDI). C’est le cas de Saidou François Sawadogo, un  cinquantenaire ressortissant de Barsalogho. Cultivateur de profession, il a trouvé refuge dans le village de Louda, commune de Boussouma, depuis près de 2 ans.

Les deux balles reçus au niveau de son pied droit, lui ont fait perdre énormément du sang.

«Une première balle a perforé l’os de mon tibia droit sans rester dans mon pied. La deuxième balle, elle, s’est enfouie dans la chair à l’arrière du pied. C’est à l’hôpital qu’elle a été extraite. J’ai perdu énormément de sang…Je pensais que j’allais perdre la vie», se souvient le désespéré.

Moumouni  Sawadogo (15ans), un déplacé interne de Dablo, ayant élu domicile dans la zone non lotie du secteur 4 de Kaya depuis un an, a reçu une balle au niveau de sa cheville droite.

«Ce jour-là, j’étais dans la foule au niveau des citernes non loin du site d’accueil des PDI. Lorsque nous avons entendu les tirs, je me suis mis à courir pour me cacher à l’intérieur du site. C’est en ce moment que j’ai reçu la balle.  Je suis tombé. Et ce sont des jeunes inconnus qui m’ont mis dans un tricycle en direction de l’hôpital»,  affirme-t-il, visiblement angoissé.

Pour son géniteur Sibiri Sawadogo, son garçon a failli perdre la vie. «Il a perdu beaucoup de sang. Car, après l’intervention chirurgicale, il est resté deux à trois heures dans le coma. Je croyais même qu’il était mort. J’ai vraiment eu peur», relate-t-il.

Mahamado Ouédraogo est un vendeur d’accessoires de téléphones portables à la gare routière du Sanmatenga, communément appelée «Sandaogo», a vu une balle se loger dans sa joue droite.

«Nos amis et frères FDS nous ont toujours conseillé que lorsque nous entendons des crépitements d’armes, de nous aplatir au sol même si nous ne sommes pas les cibles. Donc, lorsque les tirs de sommation ont commencé, je me suis couché au sol. C’est en voulant me coucher que j’ai reçu une balle tirée par un soldat français qui visait les pieds des manifestants. Il est de petite taille et ressemble à une femme. C’est la même personne qui a tiré sur les quatre blessés. Alors que ces camarades tiraient en l’air», regrette Mahamado Ouédraogo, fortement ému.

                  La France se défend et charge les gendarmes burkinabè

Des déclarations que le porte-parole du chef d’Etat-major des Armées françaises, le colonel Pascal Lanni, a balayé du revers de la main, tout en accusant les Forces armées burkinabè d’être à l’origine de ces blessures.

«C’était bien les gendarmes burkinabè qui étaient en contact direct avec les manifestants à Kaya et pas les soldats français (…). Samedi (20 novembre 2021), en début d’après-midi,  Un groupe de manifestants beaucoup plus violents que les autres, a tenté de forcer le grillage de l’enceinte où était stationné le convoi. Les gendarmes burkinabè ont procédé à des tirs de gaz lacrymogène pour disperser ce groupe de manifestants particulièrement violents.

Les soldats français ont effectué quelques tirs de  semonce. C’est-à-dire des tirs en air. Ce que je peux vous affirmer de manière très claire, c’est que les soldats français n’ont pas tiré sur les manifestants. Bien évidemment ce n’est pas du tout dans nos habitudes et nous n’avons observé aucun blessé du fait de l’action des soldats français. Il faut que les choses soient très claires», a-t-il déclaré dans une vidéo mise en ligne sur Youtube, le 23 novembre 2021 par France 24.

Des propos que les blessés qualifient de refus d’assumer la responsabilité des actes posés par l’armée française.

«Hormis les gendarmes qui escortaient le convoi militaires français, les policiers qui encadraient la foule étaient munis de gaz lacrymogènes, de matraques et de casques de protection. Lorsque les soldats français effectuaient les tirs de sommation, nos FDS se sont mêmes courbés pour éviter les balles. C’était la gendarmerie qui était armée mais ils étaient à l’écart de la foule sur le goudron», témoigne Mohamed Bachirou Tonrogbo.

Mahamado précise : «Au moment où l’armée française effectuait les tirs, l’armée burkinabè se retirait en direction de Ouagadougou. Certains enfants se sont mêmes camouflés dans les véhicules de nos FDS».

Saidou François Sawadogo : «Ma famille souffre actuellement de faim».

Le déplacé Saidou François Sawadogo renchérit que les policiers qui tentaient de contenir la foule étaient désarmés. «Depuis le début du blocus, nos FDS n’ont pas touché à un seul cheveux des manifestants, parce qu’ils savaient qu’on luttait avant tout pour leur cause. Nos FDS ont même eu la chance sinon il allait être parmi les blessés», affirme M. Sawadogo.

       Prise en charge médicale gratuite

 

Loin des polémiques, les blessés et leurs proches ont traduit leur remerciements pour avoir bénéficié gratuitement d’une prise en charge médicale et alimentaire appropriée durant leur hospitalisations.

«Mes soins ont coûté plus de 300 000 F CFA. Je n’ai rien dépensé. Que Dieu rende au centuple les bonnes volontés qui ont contribué à nos soins», se réjouit Mohamed Bachirou Tontorogbo.

Selon le Directeur général du CHR de Kaya, Auguste Joël Somda, les manifestants blessés ont bénéficié du dispositif de prise en charge médicale rapide et gratuite mis en place par l’Etat au profit des FDS et VDP blessés au front.

«Ce dispositif traite les cas urgents ou imprévus sur le plan national et qui concerne par exemple un drame national», précise-t-il.

M. Somda poursuit que pour faciliter l’accès rapide aux examens, actes d’opération et produits, à chaque fois qu’une ordonnance est émise, il est mentionné : «Blessé des manifestations contre le convoi militaire français».

Les parents des PDI blessées se sont également satisfaits du mécanisme de prise en charge médicale.

5. La blessure de Mahamadi Ouédraogo est due à la bousculade à l’issue des tirs de sommation effectués par les soldats français.

Pour le père du jeune Moumouni Sibiri Sawadogo, sans ce dispositif de prise en charge gratuite, son fils allait mourir.

«En tant que déplacé interne, je n’ai même pas de quoi survire à plus forte raison débourser plus de 200 mille francs pour soigner mon enfant», souligne-t-il.

Selon Moumouni Tontorogbo, à la date 28 novembre, les frais de soins des cinq blessés s’élevaient à plus de 900 000 francs CFA.  «Nous disposons toujours de l’argent des blessés donné par les bonnes volontés pour poursuivre les soins…», rassure M. Tontorogbo.

De ce fait, il traduit sa reconnaissance à l’endroit de toutes les bonnes volontés qui ont contribué aux soins des blessés, notamment le Chef de l’Etat qui a dépêché une délégation avec une enveloppe de 500.000 francs CFA.

7. Moumouni Tontorogbo remercie toutes les bonnes volontés pour leur contribution.

Ses salutations vont également à l’endroit des autorités régionales (gouverneur) et élus locaux pour leur implication dans la gestion de cette situation qui a failli tourner au pire.

Même si les manifestants blessés ont bénéficié d’une prise en charge médicale gratuite, certains chefs de famille ne savent plus à quel saint se vouer pour subvenir aux besoins quotidiens de leurs familles du fait de leurs blessures. De ce fait, ils appellent à une solidarité agissante.

«Aujourd’hui, je suis devenu un handicapé. Je suis une PDI sans champ agricole qui lutte pour subvenir aux besoins alimentaires de mon épouse et de mes 6 enfants dont 3 écoliers. Je suis conducteur de tricycle. Et, je  travaillais avec une association. Avec cette blessure, j’ai fini de consommer le peu d’argent que j’avais réservé. Je suis vraiment à terre…», s’alarme Saidou François Sawadogo.

Notons que le convoi militaire français après un repli tactique de Kaya dans la soirée du 20 novembre, a finalement quitté le territoire burkinabè dans la nuit du 25 au 26 novembre 2021, aidé par une coupure de l’internet mobile et le discours à la Nation du président Roch Kaboré.

Le chef de l’Etat burkinabè a également eu les 13 et 14 décembre 2021 à Ouagadougou, deux réunions avec des responsables militaires français afin de réorienter la coopération entre les deux pays dans la lutte contre le terrorisme.

Agence d’information du Burkina

Emil Abdoul Razak SEGDA

segda9emil@gmail.com

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