Yako: La veuve, l’imam, les voisins et le mur de la discorde
Yako, 3 oct. 2021(AIB)- Dans la zone non-lotie du secteur n°2 de Yako, le refus de la veuve Abibata Sinon de céder un passage plus grand aux fidèles d’une mosquée et l’entrée en jeu d’un autre voisin, est entrain de se transformer en une crise qui risque d’abîmer le vivre-ensemble et la cohésion sociale dans le quartier.
Abibata Sinon est une veuve d’une soixantaine d’années. Elle est vendeuse de condiments et propriétaire d’une parcelle non-lotie au secteur n°2 de Yako où elle a construit deux maisons de 10 tôles séparées l’une de l’autre.
Ces deux maisons, la vieille Abibata les loue aux élèves venant des villages environnants dans le but de poursuivre leurs études, dans le chef-lieu de la province du Passoré, Yako.
Mais, en attendant de disposer de moyens financiers pour délimiter ses deux cours à l’aide d’un mur, une partie de la parcelle servait jusque-là de passage pour les usagers de la mosquée située, dans la partie Nord de la cour de dame Sinon.
Maintenant qu’elle a construit un mur de protection, la sexagénaire dit être désagréablement surprise, en début du mois de septembre de voir une bonne partie de son mur détruit par les usagers de la moquée pour, disent-ils, se frayer un chemin d’accès à l’unique mosquée du quartier.
C’est ainsi qu’elle décida alors de déposé d’abord une plainte contre son voisin le plus proche qui aurait reconnu être le coupable du dommage auprès des autorités compétentes de la place.
Après l’audition de ce dernier, la police lui aurait demandé de procéder à la réhabilitation systématique de la clôture endommagée.
C’est à la suite de la restitution du mur qu’un autre voisin du nom de Réné Compaoré lui aussi est venu pour ériger un mur, barrant de faite l’entrée de la cour de la veuve.
Ainsi, dame Sinon a décidé d’entreprendre encore une autre démarche en convoquant M. Compaoré à la police.
Devant les agents de police, celui-ci aurait expliqué qu’il avait tout simplement délimité sa parcelle à travers ce nouveau mur sans ignorer que son mur fait barrière à la porte d’entrée de la vieille qui y voit une sorte de provocation.
Selon M. Compaoré, le refus de la veuve de céder une partie de sa parcelle comme passage, permet à tout un chacun d’exploiter pleinement la sienne.
Interpellé sur l’affaire, le Directeur provincial de la police nationale, Moussa Kadio dit avoir effectivement entendu Réné Compaoré en lui demandant de détruire son mur qui fait nez-à-nez avec la cour de Abibata Sinon.
«Nous lui avions dit de repartir refaire le mur et il nous a promis de le faire dans un bref délai», a expliqué M. Kadio.
Très désemparée, Abibata Sinon estime que les usagers de la mosquée veulent seulement lui faire la force du fait de son état de femme et de veuve.
«Au départ, l’Imam du quartier qui est d’ailleurs mon neveu est venu me voir en me demandant de leur céder une voie d’accès à leur mosquée. J’ai laissé un petit passage pour eux.
Après, ils sont encore revenus me dire que cet espace n’est pas suffisant pour circuler, surtout à l’aide d’un engin. J’ai dit que je ne pourrais pas le faire sinon c’est la moitié de ma parcelle qui sera concernée à cet effet», a indiqué Mme Sinon.
Toutefois, l’affaire qui oppose dame Sinon va au-delà d’un individu surtout que le quartier tout entier s’est mobilisé pour s’aligner derrière le voisin Compaoré, lorsque celui-ci avait été interpellé par la police.
On comprend aisément les conséquences que l’affaire pourrait engendrer si rien n’est fait dans un délai proche.
Surtout que la principale concernée Abibata Sinon dit vouloir user de tout son pouvoir pour conserver sa parcelle, même en cas d’usage de la force sur sa personne de la part des riverains du quartier.
« Je ne veux pas de problème avec quelqu’un au sujet de ma parcelle que j’ai achetée à la sueur de mon front. Je ne souhaite pas qu’une bagarre se déclenche à cause de cette affaire. Je leur demande de faire pardon en ne me provoquant pas», dit-elle.
«La situation m’a donné des soucis de santé. A chaque fois que je pense à la force qu’ils veulent me faire, je tombe malade », déplore-t-elle.
En tout état de cause dame Sinon promet de « miner » son terrain avec le « Tinssé » (fétiche très craint dans le Nord du Burkina, ndlr), si on l’obligeait à abandonner sa parcelle.
Mais que dit l’imam de la mosquée dont la voie d’accès fait l’objet de tant de polémiques?
Amidou Sanfo est à la fois l’imam de la mosquée concernée et le chef du quartier.
Tout courroucé par l’affaire, le quinquagénaire explique que la voie traversant la cour de la vieille Abibata Sinon servait bien longtemps de passage.
« Mais comme la voie traverse sa parcelle, c’est pourquoi, relate M. Sanfo, nous lui avions demandée de nous céder une partie pour le passage comme nous l’avions fait avec les autres habitants du quartier qui ont accepté notre requête ».
Sans réfuter la version selon laquelle le mur avait été effectivement terrassé, l’Iman Sanfo nous relate avec peu humour comment il s’est retrouvé dans la zone non-lotie ?.
«Vous savez ? C’est la polygamie qui m’a amené ici. J’ai quatre femmes avec naturellement beaucoup d’enfants. », justifie-t-il.
Il soutient toutefois avoir donné des instructions, afin que la clôture d’Abibata Sinon soit rétablie, de peur que la situation ne prenne une tournure déplaisante.
Une responsabilité qu’il dit, avoir lui-même pris en tant que chef du quartier et non pas en tant qu’imam.
«On ne l’a pas empêchée de construire sur sa parcelle un mur de protection. Seulement, on pouvait s’accorder à trouver une voie d’accès à la mosquée pour qu’en cas de difficulté, que les ambulances ou les agents de sécurité puissent accéder aisément également au quartier en cas de danger» a dit l’Imam Sanfo.
Outré par la situation, celui-ci a dit qu’il a été décidé que tous ceux qui avaient accepté de céder une partie de leurs parcelles pour la route, reviennent les exploiter parce la vieille a dit qu’il n’y a pas de voies dans les zones non-loties.
«Que chacun revienne construire sa parcelle, car nous ne voulons plus de polémique sur cette affaire qui nous déshonore. Voyez-vous, chaque vendredi, je pars répondre au commissariat de police», a-t-il renchéri.
L’imam assure que depuis qu’il est né, il n’a jamais eu autant de problèmes pouvant le trainé devant les services de sécurité.
Approché sur l’affaire, le directeur provincial de la police nationale du Passoré (DPPN), Moussa Kadio dit ne pas souhaiter l’usage de méthodes contraignantes surtout que ces populations sont appelées à vivre ensemble et à s’entraider malgré leurs divergences.
Néanmoins, à propos de la destruction du mur, il a estimé que les faits pourraient être qualifiés de «destruction de biens», au plan pénal.
C’est pourquoi, a ajouté le DPPN, nous leur avions demandé d’aller remettre les briques à leur place, en attendant de trouver des solutions à l’amiable.
M.Kadio se propose aussi de saisir dans les prochains jours, la mairie de Yako sur l’affaire.
«Comme personne ne dispose d’une preuve écrite justifiant qu’il est propriétaire de parcelles dans les zones à habitations spontanées, il faut impérativement passer par la médiation, d’autant plus que le domaine terrien est assez sensible », a souhaité Moussa Kadio qui demande encore aux différentes parties prenantes de prôner surtout l’entente et le pardon.
Zézouma Elie SANOU
(AIB-Passoré)