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Burkina : Un chef traditionnel invite à «déconstruire» les accusations de sorcellerie contre les femmes

Ouagadougou, 1er juillet 2019 (AIB)-Le Naaba Boalga de Dawelgué (Saponé) a invité ses pairs, à s’impliquer dans  la «déconstruction des allégations de sorcellerie», dans un contexte marqué par la recrudescence des violences contre des femmes accusées de cette pratique.

«Si les chefs traditionnels prennent le parti de déconstruire certaines valeurs ancestrales qui ne sont plus dignes d’être transmises aux générations montantes, la probabilité qu’ils soient écoutés est considérable», a écrit le Naaba Boalga de Dawelgué, dans une déclaration parvenue lundi à l’AIB.

Naaba Boalga qui fait cas de la sorcellerie, a ajouté que la contribution des chefs traditionnels est très importante parce qu’ils occupent un rôle central dans les us et coutumes des populations.

Plusieurs femmes accusées de sorcellerie ont été récemment violentées, précisément dans la région du Centre-est, obligeant le gouverneur Antoine Ouédraogo a adressé un avertissement à des prétendus guérisseurs, à l’origine des accusations.

Le Naaba Boalga, à l’Etat civil Issaka Sourwema a rappelé que personne ne peut violer la résidence d’un chef traditionnel pour s’en prendre à une personne qui y a trouvé refuge peu importe le le délit ou le crime qu’elle aurait commis.

L’ex Directeur générale des Editions Sidwaya (presse publique) a aussi noté que l’Empereur des Mossé (ethnie majoritaire) le  Moogho Naaba Baongho a demandé aux chefs traditionnels de s’abstenir de se saisir des problèmes de sorcellerie ou de s’impliquer dans les accusations y relatives.

Naaba Boalga a mentionné que les accusations de sorcellerie sont plus élevées dans les régions mossé que dans d’autres localités du Burkina Faso.

Agence d’information du Burkina

rz-mw/ata/ak

Déconstruction des allégations de sorcellerie contre les femmes

POUR UN ROLE ACCRU DE LA CHEFFERIE TRADITIONNELLE ET COUTUMIERE

Dans le cadre du « Projet Delwendé, pour l’autonomisation et de réhabilitation des victimes de l’exclusion sociale » initié en 2013 par le gouvernement et qu’accompagnent l’UNESCO et la Commission nationale pour l’UNESCO/Burkina Faso, les femmes exclues de leur communauté – pour allégation de « sorcellerie » – et recueillies au Centre Delwendé à Sakoula (ex Tanghin) et à la Cour de solidarité de Paspanga (environ 500 victimes) sont au centre des préoccupations.

Parmi les axes d’intervention, on compte celui du plaidoyer dont la quatrième session a lieu aujourd’hui à Sakoula. Le public cible est constitué des hautes autorités gouvernementales, religieuses et coutumières et des représentants des organisations internationales.

C’est l’occasion de rappeler le rôle de chefferie traditionnelle et coutumière dans ce combien noble même si ce rôle doit être plus accru. Lors de la journée internationale des droits des femmes célébrée le 08 mars 2010, les autorités supérieures de la chefferie traditionnelle et coutumière du Burkina Faso s’étaient officiellement engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Elles avaient fait diffuser des messages appelant les chefs traditionnels et coutumiers des cantons, des groupements de villages, des villages et des quartiers relevant de leurs aires culturelles respectives à faire la promotion de la lutte contre ces violences et à en être des modèles.

Dans ce sens, Sa Majesté le Moogho Naaba Baongho, empereur des Mossé, avait rendu publique une déclaration écrite en mooré qui a été commentée sur les stations de radio et dans nombre de localités au Centre, Centre-Ouest, Centre-Sud et Plateau central. Parmi les préoccupations soulevées dans ce message, figuraient les allégations de sorcellerie portées contre des personnes et particulièrement contre les femmes. En plus de ce message, il avait invité les chefs traditionnels relevant directement ou indirectement de lui de s’abstenir de se saisir des problèmes de sorcellerie ou de s’impliquer dans les accusations y relatives.

Cette position de Sa Majesté le Moogho Naaba Baongho peut sembler molle pour qui (Moaga ou non) ne connaît pas ou ne connaît pas assez la société. En effet, même si elle comporte, à bien des égards des ventres mous (confère la conquête coloniale), l’organisation sociopolitique pyramidale (ou centralisée) traditionnelle de cette communauté est un outil qui permet de partager très rapidement des informations du sommet de la pyramide jusqu’au moindre hameau en passant par les échelons intermédiaires que sont les cantons, les groupements de villages et les villages et quartiers. Il ressort qu’il en a été de même à Boussouma, au Gulmu, au Liptako, au Yatenga, et à Zoungrantenga.

Dans les sociétés segmentaires du Sud-Ouest et de l’Ouest du Burkina Faso, l’aura des chefs de canton comme ceux de Banfora (à l’époque), Bobo-Dioulasso, Dédougou, Diébougou, Gaoua, Pô et Tougan pour ne citer que ceux-là a permis de porter le message très loin. Certes, la sorcellerie n’y a pas la même ampleur que dans les régions mossé mais la moindre de ses manifestations mérite d’être combattue. De plus, il faut noter que dans ces régions vivent aussi des Mossé qui ont apporté avec eux leurs représentations du monde, leurs tentatives d’explication du monde et probablement leurs sociétés secrètes.

Les propos de Mme Laure Zongo/Hien en 2017, alors qu’elle était ministre en charge de la femme, sont suffisamment éloquents : « dans le Burkina Faso actuel de 2017 le phénomène de l’exclusion sociale des personnes accusées de sorcellerie prend de plus en plus d’ampleur, avec des zones de prédilection telles les régions du Nord, de la Boucle du Mouhoun, du Plateau central, de l’Est, du Centre, et du Centre-Sud ».

La contribution des chefs traditionnels est d’autant plus à propos qu’ils occupent une place importante dans le système de représentations du monde des populations ; ce qui fait d’eux des personnes respectées et écoutées pour peu qu’ils aient des comportements qui font d’eux des modèles au sein de la société. L’autre élément qui fait de l’implication des chefs traditionnels et coutumiers une nécessité, c’est le fait que dans le processus de production du système de valeurs régissant la collectivité leur voix est prédominante car ils sont, d’emblée, censés réfléchir, parler et agir pour le bien de la communauté.

De même, s’ils prennent le parti de déconstruire certaines valeurs ancestrales qui ne sont plus dignes d’être transmises aux générations montantes, la probabilité qu’ils soient écoutés est considérable. Il y a donc un réel rapport de forces qui est en leur faveur et qu’ils peuvent utiliser dans un sens ou dans un autre. Le proverbe selon lequel « Personne n’osera dire que la mère du chef traditionnel est une sorcière » illustre à l’envie deux choses : d’une part que plus fort vous serez, moins vous serez susceptible d’être accusé de sorcellerie ; d’autre part que le chef traditionnel peut empêcher que quelqu’un soit accusé de sorcellerie ou que même s’il venait à en être accusé qu’il ne soit pas chassé de localité dans laquelle il réside. En outre, la résidence du chef traditionnel ou coutumier jouit d’une immunité. Quiconque y pénètre bénéficie de protection jusqu’à ce qu’il en ressorte, peu importe le délit ou le crime qu’il a commis. Et aucun habitant n’osera y entrer pour se saisir du présumé coupable.

Il ne s’agit pas donc d’affirmer ou d’infirmer l’existence de la sorcellerie mais de dire aux chefs traditionnels de dissuader les populations d’exercer la violence (quel qu’en soit le type) sur les personnes accusées et d’éviter de se mêler des débats y relatifs.

Issaka SOURWEMA

Naaba Boalga

Chef traditionnel du village de Dawelgué/Saponé

Photo d’archives pour illustration

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