Burkina-Kaya-Déplacées-Aides-Psychologique-Difficultés

Kaya/Prise en charge des personnes déplacées internes : Le Soutien psychologique est le  maillon faible

Kaya, 11 août 2022 (AIB)-Dans la prise en charge des Personnes déplacées internes, le Soutien psychologique est le  maillon faible a constaté l’AIB en juillet dernier à Kaya, chef-lieu de la région du Centre-Nord. 

A Kaya, chef-lieu de la région du Centre-Nord, situé à une centaine de km de la capitale burkinabè, depuis 2019, des structures étatiques et non étatiques apportent un soutien psychologique aux Personnes déplacées internes (PDI) victimes de traumatismes. En dépit de ces efforts consentis, l’aspect psychologique reste toujours le maillon faible de la chaîne de prise en charge holistique des PDI.

Le président de la FEME/S, le pasteur Théodore Sawadogo, appelle à l’unicité des biens pour un soutien psychosocial aux PDI

« Nous allons tous travailler pour bâtir la paix pour un monde meilleur. Nous allons tous nous lever pour donner la joie. Consoler ceux qui pleurent. Leur donner plus de joie. Sacrifier nos biens pour donner la joie… ». Ces notes de l’artiste musicienne burkinabè, Toussiane Julienne Zinsoné alias Toussy plante le décor, comme jingle, d’un magazine radiophonique intitulé : «Etre solidaire des victimes de traumatisme de violences ou de conflits ».

Rythmée par des interventions de l’animateur, de la musique et des extraits d’interviews, cette émission citoyenne pour la paix émet quotidiennement sur la radio catholique Notre Dame de Kaya, depuis le 21 juillet 2021. D’une durée de 7mn53s, ce magazine, conçu en langues française et mooré, éclaire la lanterne des auditeurs et auditrices sur le traumatisme dû aux violences ou aux conflits.

Pour le président du MBDHP/S, Issaka Ouédraogo, le manque de soutien psychologique est une violation grave des droits des PDI

Dans l’émission, l’invité du jour, Grégoire Tapsoba, chargé des projets de la commission épiscopale justice et paix aborde, entre autres, la démarche à adopter pour sortir une victime de son traumatisme et les conséquences négatives liées aux traumatismes. A l’entendre, l’écoute permet aux victimes de traumatisme de se libérer de leur fardeau psychique. « Les ambassadeurs doivent savoir comment écouter les victimes de traumatisme même s’ils n’ont pas une réponse immédiate à leur apporter…», souligne-t-il.

Aux dires de M. Tapsoba, sans assistance psychologique, les PDI victimes de traumatisme peuvent mettre fin à leurs jours. « Lorsqu’une victime n’arrive pas à se libérer de son traumatisme, elle se renferme sur elle-même en se disant qu’il n’y a plus de solution à son problème. La seule solution qui lui reste, c’est de se donner la mort…», alerte-t-il.

Le directeur de la Radio Notre Dame de Kaya, Abbé Alexis Ouédraogo : «Les médias doivent impérativement s’impliquer dans la prise en charge psychologique des PDI»

De ce fait, l’invité exhorte les communautés à prêter une oreille attentive aux victimes de traumatisme psychique. L’émission est présentée par le directeur de la radio Notre Dame de Kaya, Abbé Alexis Ouédraogo. « Nombreux sont des femmes, hommes et enfants qui sont victimes de troubles psychiques et en souffrent énormément dans le silence.

Alors que les humanitaires se focalisent sur le soutien en alimentation, abris, habillement… En tant que média communautaire, nous ne pouvons pas rester insensibles face à ce sujet quasi tabou dont les conséquences sont aussi dramatiques que dévastatrices », justifie-t-il.

En plus de ce magazine, son média confessionnel mène des entretiens et des séances d’écoute et d’accompagnement avec des PDI sur leur prise en charge psychosociale, révèle Abbé Ouédraogo. Des actions dont les retombées sont incommensurables, selon lui.

« Vider » les cœurs

Lors de notre passage dans les locaux de la « voix des sans-voix », le samedi 12 mars 2022, des membres de l’association Relwendé, majoritairement des Femmes déplacées internes (FDI), venues de Dablo, s’adonnaient à des activités de salubrité dans la cour de la radio, en guise de reconnaissance.

«Elles nous ont remerciés. Parce que, grâce à la diffusion de leur entretien, des bonnes volontés, venues de Ouagadougou, leur ont offert des vivres, et apporté un soutien psychosocial. Nous avons aussi reçu trois appels téléphoniques concernant les comportements des PDI traumatisées…», se réjouit le directeur Ouédraogo.

Des Organisations non gouvernementales (ONG) tentent aussi, dans la limite de leurs possibilités, d’apporter un soutien psychologique aux PDI. Troisième du genre, l’Organisation chrétienne de secours et de développement (CREDO) a organisé, du 24 au 26 mars 2022 à Kaya, un séminaire de guérison de traumatisme au profit de 43 FDI, majoritairement des veuves.

Selon la facilitatrice des guérissons de traumatisme, Noëlie Sorgho, ces 72 heures de confidences ont permis aux participantes de se pencher sur des thèmes tels que le traumatisme, le deuil, le pardon, etc. A l’entendre, le terme « traumatisme » désigne les conséquences émotionnelles pénibles que peut entraîner le fait de vivre un évènement éprouvant, dont des attaques terroristes.

Une personne est traumatisée, poursuit la facilitatrice, lorsqu’elle a vécu un évènement traumatisant et qui peut développer un Trouble de stress post-traumatique (TSPT) ou un traumatisme complexe répété et plongé. Le deuil est un état affectif douloureux provoqué par la mort d’une personne chère ou la perte d’un matériel, soutient-elle.

Pour Mme Sorgho, le pardon est nécessaire, si l’on veut continuer à vivre. « Le pardon est un soin pour le cœur, en ce sens que faire le choix de pardonner, c’est faire le choix de guérir son cœur. Le processus de pardon va aider les PDI à nettoyer ou à laver leurs blessures intérieures et surtout à les cicatriser», insiste la facilitatrice.

La facilitatrice des guérisons de traumatisme, Noëlie Sorgho : «Le facilitateur doit pouvoir déceler le nœud du problème de la victime afin de l’aider»

Pour aider à sortir une victime de son traumatisme, notre interlocutrice préconise l’écoute qui permet de connaitre sa peine, sa douleur, le degré de sa souffrance et le nœud de son problème. Cependant, Noëlie Sorgho note que le processus pour amener les PDI à sortir de leurs problèmes et à pardonner leurs bourreaux nécessite un travail de longue haleine, un suivi et un engagement rigoureux des facilitateurs communautaires, en ce sens que leur stress post-traumatique est complexe.

A l’issue de ces échanges, elle se dit satisfaite. «Au début, elles étaient toutes timides et avaient la tête baissée. Chacune qui prenait la parole avait des larmes aux yeux. Je me demandais si j’allais pouvoir tenir une journée. Mais, au dernier jour, tout le monde souhaitait prendre la parole. Elles ont toutes le sourire aux lèvres et la joie se lit sur leurs visages. Parce que, chacune a eu l’occasion de vider ce qui lui tenait à cœur», déclare Noëlie Sorgho.

Un cas d’école apprécié à sa juste valeur par les participantes. «Dieu merci ! Cette assistance morale m’a permis de surmonter mes difficultés liées au décès de mon mari, au déplacement forcé sans un minimum pour survivre », se réjouit Pingwende Sawadogo.

1070 PDI soutenues

Elle est une ressortissante de Dibliou, commune de Pensa, province du Sanmatenga, région du Centre-Nord. Depuis le 25 juillet 2019, la veuve Sawadogo a trouvé refuge au secteur 4 de Kaya, suite à une attaque meurtrière du marché de son village qui a coûté la vie à une vingtaine de personnes. Même son de cloche pour Touwendé Bamogo, ressortissante de Sirgadji, commune de Tongomaël, province du Soum, région du Sahel.

«Je sors de ce séminaire guérie de la haine qui m’habitait depuis le village envers un voisin qui se réjouissait de notre sort. Cela me rendait mentalement malade», se souvient-t-elle. D’ores et déjà, elles promettent être des relais, afin de soulager d’autres PDI de leurs blessures psychologiques.

Ce schéma circulaire caricaturant la situation des PDI leur a permis de repartir sur de nouvelles bases

Notre périple nous conduit, le jeudi 31 mars 2022, dans des locaux de certaines structures religieuses qui travaillent d’arrache-pied, dans l’ombre, pour secourir les corps et âmes faibles en quête de soutien. A l’Eglise des Assemblées de Dieu (AD) de la région du Centre-Nord, un Comité de gestion de crise (CGC) est mis en place, depuis 2019, dont le rôle est d’apporter un soutien psychosocial aux PDI sombrant dans le stress psychologique.

«En tant qu’Eglise, nous sommes appelés à perpétuer l’œuvre que notre Seigneur Jésus Christ a amenée sur terre qui est de s’occuper des corps et âmes qui souffrent intérieurement et qui ont besoin de réconfort mental», justifie le président du Conseil régional de l’Eglise des AD du Centre-Nord (CREAD/CN), le pasteur Théodore Sawadogo, par ailleurs président provincial de la Fédération des églises et missions évangéliques du Sanmatenga (FEME/S).

A l’entendre, la prise en charge psychologique consiste à écouter les victimes de traumatisme, avant de leur prodiguer des conseils. «Le comité s’entretient régulièrement avec des PDI, afin de les amener à s’extérioriser. Parce que, le plus souvent, face à des chocs pareils, la personne préfère ruminer intérieurement son mal.

Ce qui devient comme une plaie qui le ronge à l’intérieur. Mais, le fait d’avoir quelqu’un de confiance à qui se confier, c’est déjà une piste de soulagement», indique le pasteur Sawadogo. A leur tour, les membres du CGC utilisent des versets bibliques pour remonter le moral des PDI désespérées. «Notre Bible est pleine de versets de réconfort.

Nous ne cessons de leur répéter qu’il y a toujours de l’espoir avec Dieu. Quand nous regardons l’histoire de l’humanité, c’est une perpétuelle répétition des évènements. Malgré tout, Dieu est resté le même. S’il a été capable d’aider des personnes qui ont traversé des moments difficiles, c’est qu’il est toujours disposé à le faire aujourd’hui.

Au moins 1070 PDI ont bénéficié d’un soutien psychosocial du Conseil régional des AD du Centre-Nord

Elles doivent voir toujours le côté positif de la vie. Car, l’Eglise est là pour les écouter ou des bonnes volontés pour les accueillir. C’est aussi une œuvre divine qu’il faut apprécier positivement», conseille Théodore Sawadogo. A la date de fin février 2022, selon le président de la FEME/S, au moins 1070 PDI ont bénéficié du soutien psychosocial de l’Eglise protestante.

«Chaque PDI bénéficie, mensuellement, de 25kg de riz, 5kg de sucre et 5kg de pâte. Certaines veuves PDI sont également accompagnées dans la réalisation d’Activités génératrices de revenus (AGR), à travers de petits commerces, l’élevage, etc., parce qu’elles sont devenues des cheffes de famille par la force des choses», fait savoir le pasteur Sawadogo.

Le maillon faible

Chargée de la coordination des actions humanitaires du ministère en charge de l’Action humanitaire, la direction régionale du Centre-Nord du département, en collaboration avec le district sanitaire de Kaya et certains partenaires œuvrant dans le domaine de l’humanitaire, apporte une assistance psychosociale aux PDI.

Dans les registres de suivi des services de l’Action humanitaire de la région, on dénombre, à titre indicatif, de janvier à décembre 2021, 2349 personnes victimes de violences de nature morale et psychologique, dont 2343 (99,74%) filles et femmes bénéficiaires d’une prise en charge psychosociale, révèle le Directeur régional (DR) en charge de l’Action humanitaire du Centre-Nord, Yacouba Ouédraogo.

Au Centre de santé et promotion sociale (CSPS) du secteur 6 de Kaya, où certains patients déplacés internes sont référés, depuis 2021, le service de prise en charge psychologique enregistre aussi quotidiennement un lot important d’individus en quête de suivi. « Nous recevons en moyenne un à cinq patients par jour», note la cheffe du service, la psychologue-clinicienne, psychopathologue, Sarah Mariama Kaboré.

A l’entendre, son service mène également des actions de sensibilisation au niveau des sites d’accueil temporaires, afin d’aider les PDI à surmonter les situations difficiles qu’elles ont vécues dans leurs villages d’origine ou lors de leur fuite. « Au cours de ces sorties, nous leur montrons l’importance de la prise en charge psychologique sur leur santé physique et mentale.

Nous saisissons ces occasions pour leur présenter aussi notre service, parce que la majorité des PDI ignorent son existence », ajoute-t-elle. En dépit de ces efforts consentis sur le terrain, le soutien psychologique reste toujours le maillon faible de la chaîne de prise en charge des PDI. Plusieurs raisons expliquent ce dysfonctionnement. Certains interlocuteurs pointent du doigt le nombre croissant des déplacés internes dans la région.

A la date du 31 mars 2022, selon les données du Secrétariat permanent du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (SP/CONASUR), le Centre-Nord enregistrait 655 891 PDI, soit 35,44% du taux national (1 850 293 PDI), dont 411 426 (62,73%) enfants et 149 979 (22,87%) femmes.

Relégué au second plan

Pour le président du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP)/Sanmatenga, Issaka Ouédraogo, l’aspect psychologique est relégué au second plan par l’Etat et ses partenaires humanitaires au profit de la prise en charge liée à l’alimentaire, à l’abri, à l’habillement, etc. A l’en croire, le soutien psychologique est plus que nécessaire dans un système de prise en charge en situation d’urgence.

La psychopathologue, quant à elle, évoque plutôt des raisons techniques liées au manque ou à l’insuffisance de psychologues et d’attachés en santé mentale et des infrastructures de services des urgences médico-psychologiques dans les zones à fort défi sécuritaire. Dans la ville de Kaya, seul le district sanitaire et le Centre hospitalier régional (CHR) disposent chacun d’un (e) psychologue et d’un attaché en santé mentale.

La plupart des ONG humanitaires œuvrant dans la région ne disposent pas de services de prise en charge psychologique, même si certains comme le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés(UNHCR) ont déjà recruté des psychologues et sont en phase d’évaluation. Sans assistance psychologique, les PDI victimes de traumatisme courent un grand risque.

« De façon générale, une victime de traumatisme qui ne bénéficie pas de soins psychologiques peut développer plusieurs troubles psychiatriques pouvant perturber sa vie, sa santé mentale, voire sa santé organique », prévient la psychologue-clinicienne. Désespérées, certaines PDI sombrent dans la schizophrénie ou se donnent la mort.

Pousbila Zabré, ressortissant de Bouroum, dans la province du Namentenga, région du Centre-Nord, a mis fin à ses jours, dans la nuit du dimanche 20 au lundi 21 septembre 2021, dans une maisonnette au quartier Bollé du secteur 6 de Kaya. Celles qui tiennent toujours le coup souffrent de troubles mentaux, et frôlent même la démence. Fatimata Sawadogo et ses deux filles Roukaï (27ans) et Assèta (32ans) Zabré souffrent de schizophrénie.

Originaires de Raongbongo (Barsalogho), elles ont trouvé refuge à Pousmiougou, quartier du secteur 6 de Kaya. « Si nous n’y prenons garde, après la crise, nous aurons affaire à des personnes (PDI) complètement dépourvues de raison », avertit la facilitatrice Noëlie Sorgho. Nos interlocuteurs exhortent donc l’Etat à renforcer le suivi psychologique des PDI, à travers la multiplication de centres d’écoute et d’accompagnement surtout dans des zones à fort défi sécuritaire.

Emil SEGDA

Segda9emil@gmail.com

 

Ce que dit la loi  !
L’article 106 de la loi n°23/94/ADP portant Code de la Santé publique, en matière de protection de la santé mentale, stipule que la responsabilité de la prise en charge de la santé mentale incombe à l’Etat et la prévention de celle-ci constitue une priorité. Son article 109 poursuit que l’admission d’une personne atteinte de maladies mentales dans des établissements conçus, à cet effet, doit être conforme à l’éthique, aux conditions médicales et aux dispositions juridiques qui protègent les droits de l’homme.

Source : Code de la Santé publique

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Captcha verification failed!
Le score de l'utilisateur captcha a échoué. Contactez nous s'il vous plait!