Lutte contre le mariage d’enfants : « Avec le soutien du projet CHAM, je n’envisage pas me marier sitôt », dixit Sakinata Sawadogo
Kaya, (AIB)-Le Burkina Faso fait partie des dix pays en Afrique ayant le plus fort taux du Mariage d’enfants (ME). Dans une étude sur le ME réalisée en 2018 par Plan International Burkina Faso, il ressort que les taux de pratique de mariage dans les régions du Sud-Ouest, Centre-Nord et Centre-Est sont respectivement de 83,1%, 82,7% et 71,7 %. Pour changer la donne dans ces trois régions suscitées, Plan International Burkina Faso et l’Association D’appui et d’Eveil Pugsada (ADEP) ont mis en œuvre le projet Choisir Avec qui et quand se Marier (CHAM), avec l’appui technique et financier de l’Agence Autrichienne de Développement et Plan International Allemagne à hauteur de 1 172 195 159 francs CFA dont 809 717 702 FCFA ont été mis à la disposition de l’ADEP pour sa mise en œuvre. Ainsi, durant 40 mois, plusieurs actions de sensibilisation sur la protection et la sante sexuelle et reproductive, de plaidoyer, d’autonomisation économique et de renforcement du maintien/accès de la fille à l’école ont été réalisées au profit de milliers d’adolescent-e-s et jeunes, de leurs parents, des personnes influentes et des membres des structures associatives.
«Je peux coudre dix habits par mois au prix oscillant entre 3000 et 7500 FCFA. Ce revenu me permet d’assurer les charges quotidiennes de mes petits frères. Avec ce métier, je n’ambitionne pas me marier de sitôt», déclare Sakinata Sawadogo, 18 ans. Elle est une déplacée interne refugiée au secteur 2 de Kaya et bénéficiaire du projet. Après sa formation de six mois en coupe-couture, elle a été dotée d’une machine à coudre, d’une table, d’un fer à repasser et d’une somme de 50 000 FCFA comme fonds de roulement. Depuis 2022, Sakinata Sawadogo travaille pour son propre compte et est financièrement autonome.
Hyppolite Ouédraogo est un mécanicien-moto installé à Sabcé.
«J’ai bénéficié d’un stage de six mois et une dotation en kit complet de clés, d’une machine à laver et d’une barrique. Si je ne suis pas orpailleur aujourd’hui, c’est grâce au projet CHAM. Car, son soutien m’a épargné du chômage et me permet de prendre quotidiennement en charge ma famille», avoue-t-il.
De nombreux jeunes de la province du Namentenga ont également été appuyés par le projet. Chantal Zongo est bénéficiaire de six mois de stage, de matériel de coiffure et d’une somme de 50 000 FCFA. « J’ai utilisé cet argent pour payer des mèches, afin d’ouvrir mon salon de coiffure…», se félicite-t-elle.
Avec un revenu mensuel actuel de 50 000 francs, elle arrive à se prendre en charge. Dans la région du Centre-Nord, le projet a formé et installé 55 adolescent-e-s et jeunes dont 15 en métiers porteurs (coupe-couture, mécanique-moto…), 37 en Activités génératrices de revenus (AGR) (élevage, saponification) et 3 en énergies renouvelables (photovoltaïque). Pouya Abdoul Hafiz (éleveur de la volaille), Rasmané Rabo (éleveur d’ovins) et Sandrine Zoungrana (couturière) figurent parmi ces bénéficiaires.
Au Centre-Est, 89 adolescent-e-s et jeunes ont reçu l’appui du projet. Eric Dambré de Baskouré (Koupéla) a bénéficié de diverses formations du projet en photovoltaïque, sur le cadre de vie et les thématiques telles que le Mariage d’enfants (ME), les Violences basées sur le genre (VBG), la Santé et les droits sexuels et reproductifs (SDSR).
Il a été doté d’un kit complet de clés, d’un multimètre et d’une échelle. De son avis, le métier nourrit son homme.
« Actuellement, j’ai un revenu mensuel d’environ 75 000 FCFA me permettant de prendre en charge ma femme et mes deux enfants. Je soutiens la scolarité de mes petits frères. J’aide aussi mes parents dans les petites dépenses», sourit-il. Dans la région du Sud-Ouest, ce sont 80 adolescent-e-s et jeunes dont 25 en métiers porteurs, 4 en énergies renouvelables et 51 en AGR qui ont été formés et installés à leur propre compte.
Véronique Poda, bénéficiaire de Diébougou, a opté pour le tissage de pagne traditionnel. Après une formation de six mois, le projet l’a dotée d’une machine à tisser, d’un lot de files et d’autres matériels plus une enveloppe de 25 000 FCFA.
«Grâce à ce métier, j’ai pu soigner ma fille qui devrait subir une opération médicale d’environ 250 000 FCFA comme frais des produits médicaux et du transport. Présentement, c’est avec ce métier que je me nourris et prend en charge mes enfants», se félicite la multipare de deux enfants.
Originaire de Gaoua, Claude Da a été formé en 11 jours en photovoltaïque avant d’être doté en kit de matériel composé d’une caisse de clés, de pinces, de tourne-vices, d’un multimètre et d’une échelle. Il a aujourd’hui un revenu moyen mensuel de 100 000 FCFA.
Générer des centaines de millions de FCFA
Les acquis engrangés par le projet sont énumérés en quatre résultats. Le premier résultat est de permettre aux adolescent-e-s et jeunes de disposer d’un pouvoir accru en matière de prise de décision sur la sexualité et le mariage à travers des connaissances et aptitudes sur les droits en SSR et leur capacité économique. Ainsi, pour l’atteinte de ce résultat, une panoplie d’activités a été réalisée.
Selon la chargée du projet à ADEP, Yvette Tiendrébéogo, il s’agit notamment de la dotation de 18 espaces d’écoute des adolescent-e-s et jeunes au sein des établissements et écoles en kits d’hygiène et de la réalisation de 30 actions de sensibilisation auprès des COGES/APE/AME des établissements secondaires qui disposent de clubs scolaires sur les thématiques du projet.
La chargée de projet à Plan International, Mariam Lankoandé ajoute la mise en place de 111 groupes d’épargnes communautaires au profit de 3609 femmes leur permettant de générer des centaines de millions de FCFA.
La participation des adolescent-e-s et jeunes à l’élimination du ME tout en exerçant un leadership est le deuxième résultat atteint par le projet. De ce fait, 100 marraines/animateurs/trices ont été formés sur les thématiques du projet leur permettant de réaliser des activités de sensibilisation inscrites dans leurs plans d’action et de produire 46 sketchs lors d’évènements spécifiques.
Pour lutter efficacement contre le ME et les VBG, le projet a conçu et reproduit des codes de conduite et circuits de dénonciation des cas de violences au profit des établissements secondaires et espaces sûrs. Le projet a dynamisé 10 associations de jeunes qui, à leur tour, ont pu sensibiliser 6034 personnes en trois ans.
« Actuellement, les 40 champion-ne-s du changement formés et recyclés assurent la continuité des activités de sensibilisation », rassure Yvette Tiendrébéogo. Le troisième résultat atteint par le projet est l’engagement des membres des communautés et parents dans la lutte contre le ME et de soutenir les adolescent-e-s et jeunes en matière de droits à la SSR. Ainsi, Selon Mme Lankoandé, des sessions de formation ont été organisées au profit de 200 leaders communautaires sur les thématiques du projet.
«Dans chaque province, nous avons organisé 2350 séances de causeries sur le dialogue intergénérationnel au profit des parents et jeunes, avec à la clé plus de 6161 cibles touchées», capitalise la chargée de projet à ADEP.
Mme Tiendrébéogo poursuit que 99 prestations de théâtres fora sur le ME, la SDSR et les grossesses précoces d’enfants ont été organisés et 10 mairies et préfectures des trois régions ont bénéficié d’un apport financier pour l’organisation des campagnes de sensibilisation/établissements d’actes d’état civil au profit 2310 bénéficiaires dont 1269 filles.
Parmi les acquis du quatrième résultat figurent la formation de 35 membres des coalitions, réseaux, et OSC en plaidoyer, mobilisation de ressources, égalité de genre, le ME et la protection de l’enfant et l’organisation de cinq caravanes de sensibilisation sur le ME et les VBG par des journalistes et la vulgarisation du nouveau code pénal dans leurs médias pour donner plus de visibilité aux actions du projet. A écouter Mariam Lankoandé, l’organisation des ateliers régionaux sur le renforcement du système communautaire de protection de l’enfant qui ont réuni 178 acteurs de l’action sociale, de la sécurité, de leaders d’opinion et des Conseillers villageois de développement (CVD) ont permis aux acteurs d’élaborer des plans d’action qui visaient à dynamiser les Réseaux provinciaux de protection de l’enfant (RPE).
Taux d’exécution physique du projet de 98%
Durant ses 40 mois de mise en œuvre, le projet a touché 461 898 cibles directes dont 226 268 filles contre 13 753 386 cibles indirectes à travers le territoire national et l’international, selon Mme Tiendrébéogo. Une synergie d’actions permettant d’atteindre un taux d’exécution physique du projet de 98% contre un taux d’exécution financière estimé à 94%. Selon la conseillère de protection/sauvegarde de Plan International, Olivia Ouédraogo, sa contribution à consister essentiellement à donner ses avis techniques sur les objectifs du projet, les différents documents produits et les activités préparatoires, afin de rester dans la logique d’intervention et des résultats escomptés.
« J’ai aussi veillé au respect des standards, orientations, documents de guide à prendre en compte dans les différents processus de réalisation d’un projet», ajoute-t-elle.
La conseillère a également eu un œil vigilant sur l’aspect du rapportage afin que les rapports répondent aux attentes du bailleur. L’élément capital pour Mme Ouédraogo a été la mise en place d’un dispositif d’alerte en cas d’une tentative ou de cas de mariage d’enfant sur les dispositions à prendre pour que la survivante soit rétablie dans ses droits. Une coordination à la satisfaction des parties prenantes.
«Il y a eu une très bonne collaboration avec tous les acteurs…», se félicite la Directrice Exécutive de l’ADEP, Hortense Lougué. Olivia Ouédraogo espère donc que le projet a contribué un tant soit peu à faire comprendre à la communauté les enjeux du ME et ses conséquences. Des résultats qui ont induit des changements positifs dans les mentalités des populations.
Il s’agit, notamment de la prise de conscience des adolescent-e-s et jeunes sur les conséquences des grossesses non désirées pouvant conduire au ME, de la levée du tabou sur la question de l’hygiène menstruelle et de sa bonne gestion par les filles, de la dénonciation des cas de VBG par les champion-e-s formé-e-s.
A cela s’ajoute le renforcement de la communication et de la confiance entre les parents et enfants grâce aux dialogues intergénérationnels. Cependant, quelques difficultés ont émaillé la mise en œuvre du projet. Les acteurs ont retenu la persistance des croyances, valeurs et normes sociales, culturelles et religieuses contraires aux droits des enfants et filles et le nombre important d’adolescents et jeunes hors écoles et sans activité.
Que cela ne tienne, des leçons ont été apprises. La chargée du projet CHAM à Plan International retient l’augmentation du pouvoir décisionnel et de l’estime de soi des adolescent-e-s et jeunes par le renforcement de leurs capacités économiques. C’est pourquoi, les acteurs souhaitent le renouvellement du projet. La Directrice Exécutive de l’ADEP sollicite l’accompagnement de Plan International pour la mise en œuvre des projets similaires. Parlant de renouvellement, Mariam Lankoandé rassure que les actions se poursuivront, en ce sens que le projet s’inscrit dans un programme stratégique de l’organisation lié à la SSR et la protection de l’enfant y compris les violences de genre.
Agence d’information du Burkina
Emil Abdoul Razak SEGDA
segda9emil@gmail.com