ANALYSE : REGARD SUR LES 48 ANS DE GESTION DU POUVOIR D’ETAT PAR LES MILITAIRES (2)

  WUROTEDA IBRAHIMA SANOU, JOURNALISTE-AGENCIER ET ANALYSTE (AIB)

Ouagadougou, 5 nov. 2022 (AIB)-Suivez sur la WEB TV AIB, la seconde partie de l’analyse de la semaine du journaliste-agencier et analyste de l’AIB, Wurotèda Ibrahima Sanou sur les 62 ans de la création de l’armée nationale burkinabè intitulée « Regard sur les 48 ans de gestion du pouvoir d’Etat par les militaires ».

Mesdames et Messieurs, chers téléspectateurs de la WEB TV AIB, Bonjour et Bienvenue à notre analyse hebdomadaire.

Nous vous proposons aujourd’hui, la deuxième partie de notre analyse de la semaine qui porte un regard « sur les 48 ans de gestion du pouvoir d’Etat par les militaires burkinabè ».

Les 62 ans de la création de l’Armée nationale burkinabè se sont déroulés, ce mardi 1er novembre 2022, dans un contexte marqué par le retour des militaires à la tête du pays avec deux coups d’Etats en une année, le 24 janvier 2022 et le 30 septembre 2022.

Un pouvoir que les militaires connaissent bien pour l’avoir exercé pendant plus de 48 ans depuis l’indépendance du pays.

Aussi, il est important que le président de la Transition chef de l’Etat, chef suprême des Forces armées nationales, le capitaine Ibrahim TRAORE et ses frères d’armes jettent un regard sur ce passé pour éviter certaines erreurs et pour une meilleure refondation de l’Institution militaire.

C’est par la  loi No 74-60/AN du 3 août 1960 que l’armée voltaïque a été créé et le transfert de commandement entre les autorités militaires françaises et voltaïques s’est effectué sur la place d’arme, aujourd’hui place de la Nation, le 1er novembre 1961.

L’armée voltaïque est arrivée au pouvoir le 3 janvier 1966 par la volonté de manifestants et syndicalistes rassemblés à l’actuelle place de la Nation de Ouagadougou et qui scandaient « L’armée au pouvoir ».

Ce jour-là, le fondateur et premier chef d’Etat-major général des Forces armées voltaïques, le lieutenant-colonel Aboubacar Sangoulé LAMIZANA, devient président de la république.

Et pendant plus de 48 ans, jusqu’au 21 novembre 2014, le poste de la présidence de la république devenu présidence du Faso, le 4 août 1984, a toujours été occupé par un militaire.

Le 3 janvier 1966, c’est une armée nationale jeune et soudée autour de son fondateur et chef d’Etat-major général, le lieutenant-colonel Aboubacar Sangoulé LAMIZANA qui accède au pouvoir.

De 1966 à 1978, l’armée voltaïque est une Institution solide qui va jouer un rôle d’arbitre entre les syndicalistes, les politiques et les autres composantes de la société voltaïque.

Durant cette période, les militaires vont opérer de profonds changements économiques dans la société voltaïque qui était en crise et qui avait provoqué le soulèvement populaire et la chute des civils du pouvoir.

Le général Tiémoko Marc Garango, ministre de l’Economie et du Commerce va instaurer une politique de rigueur financière et d’austérité appelé « la garangose ».

Il crée de nouveaux mécanismes de perception de fonds pour relever le défi de la relance de l’économie du pays.  

Mais l’unité de l’armée va voler en éclats quand son chef charismatique décide de se présenter à l’élection présidentielle de 1978 sous la bannière d’un parti politique.

Lorsque le général de corps d’armée Aboubacar Sangoulé LAMIZANA annonce aux officiers de la garnison de Ouagadougou, le 24 mars 1978, son intention, il reçoit le soutien d’une partie de l’armée composée en grande partie de sa génération notamment les généraux Tiémoko Marc GARANGO, Baba SY, Bila ZAGRE et d’autres.

Par contre, d’autres officiers moins gradés qui ont pourtant travaillé longtemps avec lui s’opposent à cette candidature.

Parmi les opposants, il y avait le colonel Saye ZERBO, le colonel Félix TIEMTARBOUM, Hounsouho Charles BAMBARA, l’intendant militaire Mamadou SANFO.

Ce jour-là, le fondateur de l’Armée voltaïque affirme « J’insiste sur le fait que j’ai créé l’Armée nationale voltaïque et en conséquence, je ne mérite pas un coup d’Etat venant de l’Armée » mais le vers était déjà dans le fruit.

Le général de corps d’armée, Aboubacar Sangoulé LAMIZANA, président de la république depuis le 3 janvier 1966 est renversé le 25 Novembre 1980 par le colonel Saye ZERBO, son ancien ministre des affaires étrangères de 1974 à 1976, et responsable des services de renseignement de l’armée voltaïque.

Les colonels qui prennent le pouvoir en renversant leurs ainés les généraux, se sentent immédiatement menacés par leurs cadets, les capitaines, notamment un certain Thomas SANKARA, inconnu du public mais populaire dans la troupe.

Ce jeune officier a une arme terrible, le Centre national d’entraînement commando, (CNEC)  situé à Pô, dans la province du Nahouri, à 150 km au sud de la capitale qu’il a créé et dirige depuis 1976 avec la bénédiction du général-président Aboubacar Sangoulé LAMIZANA.

Le colonel-président Saye ZERBO oblige le jeune capitaine Thomas SANKARA à quitter la tête du Centre et à rentrer dans le gouvernement dans l’objectif de le couper des troupes.

Pour consolider son pouvoir, le colonel-président Saye ZERBO se nomme lui-même, ministre de la défense nationale et des anciens combattants et chef d’Etat-major général le 7 décembre 1980.

Mais, il sera contraint de laisser le poste de chef d’Etat-major général au colonel Yorian Gabriel SOME le 14 mai 1982 qui rêve aussi de devenir président de la république.

Le Lieutenant-Colonel Badembié Pierre Claver Nezien est ministre de l’intérieur et de la sécurité et occupe de ce fait, la deuxième place du pouvoir.

Le capitaine Thomas SANKARA est secrétaire d’Etat à l’information, à son corps défendant et laisse le CNEC à son adjoint et proche, un certain capitaine Blaise COMPAORE.

Le chef d’Etat-major général, le colonel Yorian Gabriel SOME et le secrétaire d’Etat à l’information, le capitaine Thomas SANKARA qui démissionnera du gouvernement avec fracas, vont œuvrer chacun de  leur côté avec leurs partisans pour la chute du colonel-président Saye ZERBO qui sera renversé le 7 novembre 1982.

Deux jours après la chute du colonel Saye ZERBO, son numéro 2, le Lieutenant-Colonel Badembié Pierre Claver NEZIEN est tué d’une « balle dans le dos » ou d’une rafale.

Le colonel Saye ZERBO renversé, ni le colonel Yorian Gabriel SOME, ni le capitaine Thomas SANKARA ne se précipitent pour prendre le pouvoir, chacun sachant que le premier qui s’y aventurerait, sera poussé à la faute et neutralisé par le second.

Comme solution intérimaire, la présidence de la république est confiée à un officier très effacé, pédiatre de formation qui n’a jamais tiré une arme, le médecin-commandant Jean Baptiste OUEDRAOGO, intéressé du pouvoir mais qui ignorait qu’il était au centre une bataille mortelle.

Sous la couverture du médecin-commandant Jean Baptiste OUEDRAOGO, qui devient président de la république, le chef d’Etat-major général le colonel Yorian Gabriel SOME essaie de renforcer son influence pour liquider les jeunes capitaines.

Ces derniers, s’appuyant sur leurs soutiens dans l’armée, dans les organisations syndicales et sur leur arme fatale, le CNEC, impose leur leader, le capitaine Thomas SANKARA comme Premier ministre.

Le Burkina Faso se retrouve avec un pouvoir à deux têtes, le président, médecin commandant Jean Baptiste OUEDRAOGO et le capitaine Thomas SANKARA.

La bataille entre les deux entités deviendra ouverte et tragique. On assistera à l’arrestation du Premier ministre, le capitaine Thomas SANKARA le 17 mai 1983, le départ forcé de la tête de l’Etat-major général du colonel Yorian Gabriel SOME le 25 mai 1983, le renversement du médecin-commandant-président Jean Baptiste OUEDRAOGO le 4 août 1983 et l’assassinat du colonel Yorian Gabriel SOME, le 9 août 1983.

Les capitaines prennent le pouvoir le 4 août 1983 avec à leur tête Thomas SANKARA et instaurent une révolution démocratique et populaire qui va opérer de profondes transformations dans la société voltaïque.

La Haute Volta devient le Burkina Faso, l’armée nationale voltaïque devient l’armée nationale burkinabè et les populations sont invitées à compter sur leur propre travail pour leur épanouissement et développement.

Malheureusement, l’unité perdue de l’armée en 1978, n’est pas au rendez-vous et les capitaines vont se décimer à leur tour.

Le président du Faso, le capitaine Thomas SANKARA est assassiné le 15 octobre 1987 et les deux autres responsables les plus importants du régime, le commandant Jean Baptiste-LINGANI et le capitaine Henri ZONGO seront aussi exécutés, le 18 septembre 1989.

Le seul survivant du lot, le capitaine Blaise COMPAORE devient président du Faso, le 15 octobre 1987, tout en conservant son poste de commandant du CNEC, poste que lui a cédé en 1981, le capitaine Thomas SANKARA.

Comme son adjoint, à ce poste de commandant du CNEC, il a nommé un certain lieutenant Gilbert DIENDERE.

Le lieutenant Gilbert DIENDERE intègre le cercle des capitaines d’août 1983, grâce à son ancien enseignant au prytanée militaire du Kadiogo, le commandant Jean Baptiste LINGANI qui a occupé les fonctions de Commandant en chef du Haut commandement des forces armées populaires et Ministre de la Défense et des anciens combattants d’août 1983 à septembre 1989.

Pour consolider son pouvoir, le capitaine Blaise COMPAORE, va créer par décret du 21 novembre 1995, le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) sur les centres du Centre national d’entraînement commando, (CNEC) et le placer sous l’autorité directe du général Gilbert DIENDERE.

L’armée incarnée par le président Blaise COMPAORE et son inamovible chef d’Etat-major particulier, le général de brigade Gilbert DIENDERE, restera encore au pouvoir pendant 27 ans s’appuyant sur le RSP pour empêcher tout coup d’Etat.

Mais l’armée finira pas quitter le pouvoir en fin 2014 comme elle est venue en début 1966 par la volonté populaire.

A la suite d’une insurrection population contre sa volonté de modifier la constitution pour diriger à vie, le président Blaise COMPAORE est contraint d’abandonner le pouvoir le 31 octobre 2014.

Après le départ de son chef, l’armée tente de reprendre la main et une bataille s’engage entre la faction républicaine conduite par le chef d’Etat-major général, le général Honoré Nabéré TRAORE et le régiment de sécurité présidentiel conduite par son commandant en second, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac ZIDA, protégé du général Gilbert DIENDERE.

Le second groupe l’emporte et le lieutenant-colonel Yacouba Isaac ZIDA se proclame président du Faso, le 1er novembre 2014, fête de la création de l’armée.

La rue s’enflamme de nouveau le 2 novembre 2014 et les manifestants réclament un civil pour diriger la Transition.

L’armée fait balle à terre, quitte le poste de la présidence du Faso mais reste néanmoins dans le cœur du pouvoir durant toute la Transition en étalant une fois de plus, sa division.

L’ancien diplomate Michel KAFANDO devient officiellement, le 21 novembre 2014, le troisième président civil de l’histoire du pays après Daniel Ouézzin COULIBALY et Maurice YAMEOGO, pour une Transition d’une année.

Mais, il a comme Premier ministre, un militaire, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac ZIDA qui est également ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants.

Ce dernier va se mettre à dos son corps d’origine, le RSP et son mentor, le général de brigade Gilbert DIENDERE, chef spirituel de ce corps.

Le 16 septembre 2015, une tentative de coup d’Etat contre le gouvernement de la Transition conduite par le général Gilbert DIENDERE et le RSP échoue grâce à une mobilisation populaire et une résistance de jeunes soldats en rupture de ban avec la hiérarchie.

Le président Michel KAFANDO et son gouvernement dirigé par le Premier ministre, lieutenant-colonel Yacouba Isaac ZIDA est rétabli le 23 septembre 2015.

Deux jours après l’échec de son coup d’Etat, le régiment de sécurité présidentiel (RSP) est dissout par décret présidentiel le 25 septembre 2015 et son chef charismatique, le général Gilbert DIENDERE est arrêté.

L’élection présidentielle qui se déroule le 29 novembre 2015 consacre le retour véritable d’un civil au poste de la présidence du Faso depuis près de 50 ans en la personne de Roch Marc Christian KABORE.

Malheureusement, comme en 1966, la gestion irresponsable des civils a ramené 7 ans après, les militaires de nouveau au pouvoir avec le soutien populaire. Pourvu que l’histoire ne se répète pas.

Ouagadougou, le samedi 5 novembre 2022   

WUROTEDA Ibrahima SANOU

Journaliste-agencier-analyste

www.sanou31@hotmail.fr

71 01 80 28 (whatsapp)

Agence d’information du Burkina (AIB)

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