Confédération paysane du Faso: «Je prépare ma succession depuis un an», Bassiaka Dao
Gaoua, 27 avril 2019(AIB)-Dans la cadre de la Journée nationale du paysan ( JNP) la radiodiffusion du Burkina s’est entretenue avec le président de la Confédération paysanne du Faso ( CPF) Bassiaka Dao dans son émission Tapis d’honneur le jeudi 25 avril 2019 à Gaoua. Avec celui qui est surnommé José Bové national, il a été question de son parcours, ses expériences dans le domaine agricole, des difficultés que rencontrent le monde rural et aussi des solutions pour le développement de ce secteur.
Radio nationale du Burkina (RNB) : Pourquoi avez-vous choisi d’être agriculteur ?
Bassiaka Dao (BD) : J’aime le secteur dans lequel j’évolue car pour moi s’il n’y a pas d’agriculteur il n’y a pas de vie. L’agriculteur est la sentinelle de l’avant-garde de l’humanité en ce sens que ce sont les agriculteurs qui produisent de la nourriture pour mettre à la disposition de l’ensemble de la population afin qu’il subvienne à leur bien-être. Ce secteur est stratégique. On doit lui apporter beaucoup de connaissances et inciter les gens à l’aborder avec le plus grand respect.
Après le collège ce ne sont pas des opportunités qui manquaient mais j’ai été fasciné par son père agriculteur. Malgré qu’il ait du matériel peu adapté, il était un grand cultivateur respecté. Il arrivait à subvenir aux besoins de la famille. Cela m’a motivé à m’engager dans ce secteur. 80% de mes promotionnaires sont allés dans divers domaines mais j’ai choisi le travail de la terre.
RNB : Pour quelles raisons vous êtes surnommé José Bové du Burkina ?
BD : J’ai été surnommé José Bové du Burkina à cause de mes prises de position par rapport aux Organismes génétiquement modifiés (OGM) lors d’une JNP. Le Burkina Faso n’a pas fini d’utiliser tout son patrimoine génétique en matière de végétaux. Ainsi, nous ne sommes pas prêts pas à passer aux OGM. Ils vont nous amener à être dans une dépendance semencière qui va nuire à notre pays. Nos recherches nationales ont pu mettre en place des variétés performantes pour les différentes spéculations dont on dispose.
C’est pour ce langage franc et sans détour que l’ex-président du Faso, Blaise Compaoré m’a surnommé José Bové du Burkina.
RNB : Face à la pauvreté des sols associée aux conséquences des changements climatiques n’avez-vous pas eu envi d’abandonner ce travail ?
BD : Non. Pour moi c’est l’adversité qui permet un engagement véritable dans un domaine donné. En tant qu’agriculteur, face aux effets du changement climatique, il faut développer les capacités de réflexions pour vaincre les obstacles du secteur. Il faut utiliser les pratiques ancestrales et modernes pour nourrir nos sols.
Il n’est pas nécessaire de quitter un domaine pour un autre à la moindre difficulté car il sera difficile d’être un professionnel. Face à la nature, il faut arriver à développer des initiatives afin de vaincre les obstacles pour se nourrir.
Pour moi l’avenir de nos pays repose sur l’agriculture. Aujourd’hui les institutions, les décideurs politiques recommandent aux jeunes de retourner à la terre. Il faut rendre d’abord l’agriculture attrayante en la sortant du cadre informel pour le formel qui génère des droits et des devoirs ainsi elle devient un domaine valorisant.
RNB : Bientôt c’est la saison des pluies, quelles sont actuellement les opérations menées dans les exploitations ?
BD : Actuellement nous sommes à la phase des préparatifs pour aborder la saison des pluies. Nous sommes en train de faire la révision du matériel, l’épandage de la fumure dans les parcelles. D’ici le 10 mai les labours seront entamés dans les champs de coton et d’autres spéculations.
RNB : De quels matériels disposez-vous pour vos exploitations ?
BD:Je dispose de deux tracteurs, des semoirs et plusieurs charrues, j’utilise aussi les animaux de traits pour les labours. J’utilise près de 87 hectares pour la production des semences et la consommation familiale. Il y a aussi de l’espace pour l’élevage.Le cheptel est l’économie vivante sur pied pour l’agriculteur permettant de prendre en charge certaines dépenses.
RNB : La mécanisation agricole et l’usage des intrants s’imposent aujourd’hui face à la réduction de la main d’œuvre au travail communautaire. Ne craignez-vous pas que l’agriculture échappe aux pauvres paysans qui ne deviendront que de petits ouvriers agricoles au service des riches producteurs et d’agro businessmans ?
BD : L’agriculture n’échappera jamais à ceux qui ont l’amour pour ce domaine. Par rapport à l’adversité, il faut connaitre les efforts à y mettre. On ne peut plus continuer dans ce secteur comme dans le passé. Pour mon cas nous gérons une entreprise familiale qui ne va pas nous échapper. Ceux qu’on appelle les agro businessmans au Burkina Faso ne les sont pas. Le seul que je vois c’est la SOSUCO qui a des difficultés à vendre ces produits. S’il y avait les agro businessmans, le Burkina Faso n’allait pas continuer de souffrir des effets négatifs de l’insécurité alimentaire. En Europe, quand on parle de l’agro business il s’agit de faire l’argent avec l’agriculture. A ce stade les questions de sécurité alimentaire, de transformation sont résolues. Ici nous avons des marchés hebdomadaires qui fonctionnent avec des graines de sorgho, de niébé et autres. Je pense que le concept d’agro businessman a été adopté par mode et les gens ne cherchent pas à l’approfondir. Au sortir de la 2e guerre mondiale l’Europe a construit un espace de paix et de sécurité alimentaire. Dans un premier temps, l’objectif était de nourrir la population. Ainsi avec les actions , il y a eu une production de masse en céréales, produits laitier et autres. Du coup il fallait aller à la transformation.
De notre avis, une entreprise doit fonctionner en plein temps pas en fonction des aléas climatiques. Une vraie entreprise agricole est une coopérative mais au Burkina il n’y a en pas de forte.
RNB : L’utilisation des pesticides accroît certes les rendements de production mais elle a de nombreuses conséquences sur la santé humaine. Comment concilier la santé et l’agriculture pour que notre nourriture soit notre remède et que notre remède soit notre nourriture ?
BD : Pour concilier notre agriculture et notre santé il faut le renforcement de capacité, valoriser l’homme. 80% des agriculteurs Burkinabè ne connaisse pas les méfaits des pesticides et des herbicides. Il faut que les acteurs connaissent leur durée de vie dans le sol et la plante. Aussi, il est important de renforcer les capacités sur les itinéraires techniques de production des spéculations pour que les acteurs prennent des précautions dans l’utilisation de ces produits. Tous ces renforcements de capacité doivent être assurés par l’Etat, les organisations professionnelles agricoles à travers le conseil de gestion de l’exploitation familiale et les services technico-économiques.
RNB : La pression foncière est une réalité au Burkina Faso avec la croissance démographique et le retour de certains migrants. Comment éviter les conflits et autres litiges liés à la production agricole ?
BD : Pour éviter les conflits sur le foncier cela y va de la responsabilité de l’Etat en ce sens qu’il est le garant de la sécurité. En 2007 nous avons eu à élaborer une politique de sécurisation foncière en milieu rural. Elle devait aider à sécuriser les exploitants et les exploitations familiales.
Malheureusement cette loi dénommé loi 034 a eu des difficultés à l’application parce que nous avons faussé les débats. Nous sommes au Burkina Faso et nous avons nos propres réalités. Lors d’une JNP nous nous sommes engagés à élaborer une politique de sécurisation foncière en impliquant toutes les couches et catégories d’acteurs. Et la finalité a été de définir le domaine foncier national de l’Etat, les grands aménagements hydro agricoles, les zones de reproductions, de pâturage, les cours d’eau, les forêts classées, les domaines des collectivités et le reste appartient aux privés. Mais quel mécanisme a-t-on mis sur place pour chaque famille afin de bénéficier effectivement de la sécurisation de ses terres ? Ce sont-là les difficultés qui provoquent les conflits. L’Etat aurait dû prendre des dispositions au niveau des services fonciers ruraux dans les collectivités décentralisées en délimitant traditionnellement les terres, s’il n’ ya pas de litiges et donner un premier document comme une attestation de possession foncière qui prouve la propriété d’un individu ou d’un groupe. Ainsi les conflits n’allaient pas naitre puisque dans les localités il existe des instances pour gérer ces questions .Au lieu d’utiliser ces instances, nous attendons des programmes qui viennent imposer leurs visions de gestion de nos terres .Chez nous la question des terres n’est pas une question d’expert mais une question de vivre ensemble pour un monde meilleur.
RNB : Les techniques modernes de production ne sont pas très accessibles aux paysans moyens, comment appréciez-vous les politiques agricoles exécutées au Burkina Faso ?
BD : Au Burkina il n’y a pas franchement de politique agricole. Nous avons des stratégies et des politiques sectorielles qui ne répondent pas. Une politique doit être capable de corriger l’ensemble des externalités qui s’opposent à un secteur c’est-à-dire du foncier jusqu’à l’assiette du consommateur. C’est là que la politique doit corriger. Malheureusement nous avons une stratégie de développement à l’horizon 2025 qui ne prend pas en compte le marché et la transformation. Pour moi la politique doit être capable de prendre tous les maillons dudit secteur. En la matière nous avons interpelé l’Etat pour certaines questions relatives au monde rural et faire des propositions. Vous demandez aux gens de produire et de transformer alors qu’il n’a pas de marchés et d’équipements. Qu’est ce qu’on fait ?
RNB : Dites-nous pourquoi l’agro écologie vous tient à cœur et très défendue par la CPF ?
BD : Nous savons très bien qu’aujourd’hui que le réchauffement de la planète est du en grande partie à la destruction des ressources naturelles. Quand nous parlons de l’agro écologie, c’est produire tout en respectant notre environnement et la nature, en produisant des aliments saints à même de préserver notre santé. Voilà pourquoi la CPF prône l’agro écologie. Par l’agro écologie on utilise moins les engrais chimiques, les pesticides et les herbicides. Ce permet de revaloriser l’homme et le mettre au centre de son développement.
RNB : Qu’est ce qui a motivé la création de la CPF ?
BD : La création de la CPF a été un long processus depuis les années 1990 lors de l’application des programmes d’ajustement structurels au niveau du secteur rural. Les institutions de Bretton Woods ayant incité les Etats à se désengager du secteur agricole et à responsabiliser les acteurs. Ce désengagement a amené les paysans à s’organiser en coopératives, en unions de coopératives et en fédérations pour pouvoir assurer les missions d’accompagnement effectuées jadis par l’Etat.
En cette période, il y a eu la naissance de plusieurs structures qui ne parlaient pas de la même voix. C’est ainsi qu’est né en 1998 le cadre de concertation des organisations paysannes faitières qui a évoluer pour devenir la CPF en novembre 2002 pour accompagner le monde paysan à la recherche des conditions favorables pour l’exercice du métier d’agriculteur.
RNB : On constate que la CPF jouit de la confiance de l’Etat. Quel type de rapport entretenez-vous avec l’Etat Burkinabè ?
BD : Nous entretenons avec l’Etat, un rapport de partenariat et de confiance mutuelle. C’est aussi un partenariat gagnant-gagnant. Nous sommes une organisation de la société civile (OSC) un contre pouvoir. Nous attirons l’attention de l’Etat sur certaines questions liées au devenir de notre agriculture comme l’invasion des chenilles légionnaires en 2016 par exemple.
RNB : La professionnalisation du secteur agricole Burkinabè semble se faire attendre avec la persistance de l’amateurisme et des habitudes traditionnelles, que faut-il faire à votre avis?
BD : Il faut reconnaitre en premier lieu l’agriculture comme un métier générant des droits et devoirs. Cela permet d’être dans un cadre formel de professionnalisme. Le métier devrait arriver à se structurer en fonction des intérêts inter liés. Ces intérêts doivent être solides et accompagnés un temps soit peu par l’Etat par la création d’un environnement législatif favorable.
RNB : Que pensez-vous de la JNP et quelles sont vos principales attentes ?
BD : Nous voulons que les populations déplacées puissent regagner leurs habitats respectifs et que l’Etat assure leurs productions. Car quand on n’est pas en sécurité, les questions de production on n’en parle pas.
En ce qui concerne la sécurité alimentaire, il faut que l’Etat arrive à effectivement accompagner les professionnels sur la base des décisions politiques. Nous voulons que les recommandations qui seront prises soient exécutées véritablement et surtout que les acteurs concernés s’assument dans une synergie d’action pour le meilleur de l’agriculture au Burkina Faso.
La JNP permet d’écouter la voix des sans voix, leurs attentes. Pour ce faire sa tenue en vaut la peine. Malheureusement elle est déformée dans ces objectifs parce qu’elle est en passe de devenir une affaire des ministres, fonctionnaires et autres techniciens. L »événement doit permettre de mener un débat contradictoire afin de corriger les erreurs et donner de bonnes orientations. On a déterminé sa périodicité il faut maintenant définir son format et son contenu.
RNB : Des hommes de médias estiment que vous ne communiquez pas assez ces derniers temps. Que leurs répondez-vous ?
BD : En fait, ça fait un an que je prépare ma succession. Il faut laisser la place aux remplaçants afin qu’ils apprennent comment les choses fonctionnent. D’ici trois semaines il y aura une assemblée générale de renouvèlement de nos instances. Ce qui va contribuer à aider certains acteurs a affûté leurs armes pour une meilleure gestion de nos instances. Sachez que quatorze ans de gestion d’une structure syndicale n’est pas une mince affaire pour des personnages d’un certain âge. Nous travaillons pour la relève afin que la CPF puisse continuer à exister mais toute chose se prépare.
Agence d’information du Burkina
Propos retranscris par Evariste Yoda
Crédit photo : Rémi ZOERINGRE
