Rodrigue Bayala, ministre en charge de la Justice

« La justice ne doit pas être un serpent rampant qui ne mord que les plus faibles en bas de l’échelle »

En séjour dans la ville de Sya, le ministre de la Justice et des Droits humains, Chargé des relations avec les institutions, Garde des Sceaux, Me Edasso Rodrigue Bayala, a accordé une interview à la rédaction de la Direction régionale de l’Ouest (DRO) des Editions Sidwaya, le mardi 12 septembre 2023 à Bobo-Dioulasso. Avec les journalistes, il a abordé les questions d’actualité en lien avec son département et le projet de réhabilitation du palais de justice de Bobo-Dioulasso qui connait quelques difficultés.

 

Sidiwaya (S) : Quel est l’objectif de la réhabilitation du palais de justice de Bobo-Dioulasso ?

Edasso Rodrigue Bayala (E.R.B) : Lors de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014, ce palais de justice a fait les frais de la furie des populations, et depuis lors, les différentes juridictions de Bobo-Dioulasso se sont retrouvées dans des bâtiments loués par l’Etat pour assurer la justice aux justiciables. On peut qualifier ces bâtiments d’abris de fortune parce qu’ils n’étaient pas conçus au départ pour abriter des juridictions. Il va de soi que ce déménagement impacte considérablement le service public de la justice en termes d’efficacité et d’accès. Je suis venu trouver que mes prédécesseurs avaient dans leurs cahiers de charge, la réhabilitation de cette infrastructure. J’en ai donc fait une priorité. Il était de bon ton que je me déplace à Bobo-Dioulasso pour constater de visu l’état des lieux et savoir ce qui doit être fait pour accélérer les choses.

 

S : A quel niveau se situe l’évolution des travaux ?

E.R.B : Après avoir fait le tour du palais de fond en comble, et après avoir touché du doigt les réalités, plusieurs constats se dégagent. Le premier constat est que nous ne sommes pas suffisamment avancés dans la réhabilitation. Il y a quelques trois bâtiments qui ont été réhabilités et deux autres ont été vandalisés encore. Des gens sont venus arracher des climatiseurs et les fils électriques installés, ce qui nécessite la reprise de ces travaux. Un certain nombre de bureaux et une salle d’audience sont déjà disponibles. Le deuxième constat est que ce palais, même réhabilité, n’aura pas la capacité d’accueil qu’on attend pour recevoir tous ces acteurs du service public de la justice dans de bonnes conditions. En un mot, c’est un palais qui est déjà dépassé de par sa capacité d’accueil et au regard des attentes des populations en matière de service public de la justice. Le troisième constat est que, la réfection de l’entièreté de l’infrastructure, au regard de son coût et du temps qu’elle nécessite, nous amène à nous poser véritablement une question. Celle de savoir s’il faut continuer ou s’il faut carrément trouver un nouveau site pour construire un nouveau palais digne et à l’image de la ville de Bobo-Dioulasso pour non seulement répondre aux attentes mais également avoir une capacité d’accueil permettant d’offrir un service public de justice de qualité.

 

S : En attendant, que faut-il faire ?

E.R.B : Pour prendre une décision éclairée, il faut avoir tous les éléments d’appréciation. Le chef de l’Etat et le Premier ministre nous ont dépêchés à Bobo-Dioulasso pour faire un constat et faire un rapport. Ce qui permettra de prendre une décision. D’ici là, vous saurez certainement quelle décision le gouvernement prendra. Mais au regard des coûts très élevés de ces réfections et les résultats à atteindre qui ne permettront pas d’offrir les conditions de travail efficaces aux acteurs de la justice, doit-on continuer ces travaux ? Aujourd’hui, toutes les populations ont recours à la justice dans le contentieux qu’elles ont. La demande de service va croitre, le nombre d’acteurs de la justice, avec. Donc tout cela nécessite que nous créions des conditions futuristes. Il ne faut pas se contenter d’aujourd’hui seulement, mais savoir quelle justice nous voulons demain. Cela va avec les hommes mais également avec les infrastructures. Je ne vais pas devancer la décision à venir.

 

S : Dans de nombreuses salles d’audience, les sonorisations sont défaillantes ou inexistantes. N’y a-t-il pas lieu de corriger cet aspect des choses ?

E.R.B : Je suis parfaitement d’accord avec vous parce les procès se tiennent portes ouvertes. C’est d’ailleurs pourquoi le juge, en voulant statuer dit « statuant publiquement et contradictoirement ». La dimension pédagogique du procès se trouve dans son caractère public. Lorsque vous suivez un procès, même si vous n’êtes pas concerné directement vous en tirez une leçon. Aujourd’hui, nous voulons un palais de justice qui puisse répondre aux normes. Déjà dans les réfections qui sont faites au niveau du palais de Bobo-Dioulasso, cette dimension a été prise en compte. Aujourd’hui, avec les technologies de l’information, vous pouvez être au travail et suivre un procès. Il faut qu’on intègre cette dimension pour que nous soyons au niveau des standards internationaux.

 

S : Depuis un certain temps, nous assistons à la mise aux arrêts de certains caciques politiques. Ce qui, dans un passé récent, n’était pas imaginable. Est-ce le réveil de la justice ?

E.R.B : La justice ne doit pas être un serpent rampant qui ne mord que le plus faible en bas de l’échelle. Elle doit être capable de monter sur l’arbre et secouer. Je ne crois pas qu’on peut parler de réveil parce que pour nous, la justice a toujours fait son travail même si ces derniers temps, nous constatons que des justiciables d’une certaine qualité y font face. C’est un encouragement qu’il faut adresser à l’ensemble des acteurs. Si nous arrivons à ce niveau, cela montre que nous évoluons et que nous devons maintenir le cap.

 

S : La plupart de ces arrestations sont en lien avec la question foncière. Peut-on espérer la fin des malversations des lotissements ?

E.R.B : Pour dire qu’on va mettre fin à des infractions ce n’est pas évident. C’est vrai qu’ils sont en lien avec le foncier, mais elles restent tout de même des infractions. C’est comme si un jour on peut dire que le vol est fini. Non ! ça ne pourra pas finir. Il y aura toujours des indélicats. Ce qui est important, c’est de faire en sorte que si les actes sont commis qu’ils soient sanctionnés. C’est vrai que la sanction a un caractère dissuasif, mais il y a des gens que cela ne décourage pas. Ils continueront. Pourvu que la justice soit aux aguets pour les appréhender et leur faire subir la sanction qui est prévue par la loi.

 

S : Un ancien substitut du procureur du Tribunal de grande instance (TGI) de Bobo-Dioulasso a démissionné de la magistrature pour le barreau mais il n’a pas eu le temps de se faire inscrire avant son arrestation pour des faits de corruption notamment. Est-ce dire que les acteurs de justice eux-mêmes ne sont pas épargnés dans cette lutte généralisée contre la corruption ?

E.R.B : Ce n’est pas les acteurs de la justice uniquement qui ne doivent pas être épargnés. Personne ne doit être épargnée par la justice. Tant que vous êtes dans les conditions pour être devant la justice, vous devrez effectivement être là-bas. Que ce soit les acteurs de la justice ou les citoyens ordinaires, chacun doit répondre devant la justice.

 

S : L’autre question c’est la difficulté d’exécution des décisions de justice en matière de conflits fonciers. N’est-il pas préférable de songer à d’autres voies de règlement de ces conflits ?

E.R.B : Les conflits fonciers découlent du régime foncier qui n’est pas totalement clair dans notre loi. Vous avez la loi sur le foncier rural qui crée les propriétaires terriens. On dit pour le foncier rural que ceux qui exploitent les terres pour des besoins d’élevage ou d’agriculture n’ont pas besoin d’un titre pour se déclarer propriétaires, d’où la notion de propriétaires terriens. De ce régime, quand les conflits naissent, la justice tranche en se fondant sur la règle de droit, mais qui ne tient pas forcement compte des réalités socioculturels et communautaires. Il se trouve qu’à la fin, la décision a effectivement un certain nombre de difficultés pour être mise en exécution. Pour cela, il faut penser des réformes qui puissent permettre d’associer les coutumiers. Il y a des pays où on a des associés coutumiers avec un juge professionnel. En ce moment ça permet à la décision qui sera prise d’être facilement mise en exécution pour que les deux systèmes ne se confrontent pas à un moment donné. Quelques fois, quand la décision de la justice est difficile à appliquer c’est qu’il y a le plus souvent des leaders coutumiers ou traditionnels qui ne sont pas en phase avec cette décision. C’est déplorable. Dès l’instant que la justice a tranché, tout le monde devrait s’y soumettre. Mais cela découle même du régime de la terre que nous avons dans notre pays.

 

S : Le président de la Transition a donné carte blanche aux acteurs de la lutte contre la corruption. L’ASCE-LC et le REN-LAC sont au charbon. Est-ce que la justice a les capacités de terminer le travail de dénonciation fait par ces entités ?

E.R.B : Bien entendu ! La justice a les capacités de terminer ce travail. C’est dans ce sens que la loi a été relue pour permettre à l’ASCE-LC de ne plus se contenter simplement des rapports mais de saisir directement la justice sur la base de ces rapports. Donc, c’est à ces institutions d’actionner l’action judiciaire. Maintenant, si la justice n’a pas les moyens d’expertise et autres, elle a la possibilité de demander le soutien financier. D’ailleurs, on a mis des régies en place qui seront fonctionnelles bientôt pour le pôle économique et financier (ECOFI) de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso, et du pôle anti-terroriste d’avoir les capacités de fonctionner. C’est dans cette dynamique d’ailleurs que des procès d’un certain niveau ont pu se ternir jusqu’à terme.

 

S : Quel est véritable le rôle de la justice dans la lutte contre le terrorisme ?

E.R.B : La justice intervient dans la lutte contre le terrorisme à plusieurs niveaux. D’abord les enquêtes permettent, à travers les actes et les présumés terroristes, de connaitre leurs modes opérationnels pour permettre à nos Forces de défense et de sécurité de se réorganiser. Ensuite, de par les jugements du pôle anti-terroriste, il y a eu des relaxes. Des personnes présumées terroristes ont été relaxées par la justice. Preuve qu’elles ont été jugées dans le respect de leurs droits fondamentaux, c’est-à-dire dans le respect du principe contradictoire. Ces décisions permettent de créer un apaisement social autour de ces personnes qui étaient indexées comme des terroristes et qui, en fin de compte, ne le sont pas. Et tout le monde reconnait qu’il n’y a pas de stigmatisation dans notre pays. Soit vous êtes un terroriste et vous êtes traités comme tel, soit vous êtes innocents et vous serez relaxés s’il n’y a pas de preuves vous rendant coupables de faits terroristes. La justice joue donc un rôle de facteur de cohésion sociale par le règlement judiciaire de ces contentieux. De par son rôle classique, la justice qui règle de façon pacifique les conflits sociaux, apaise la tension et favorise un climat de paix. En somme, la justice contribue à la lutte contre le terrorisme. C’est pour cela que depuis 2017, on a mis en place le pôle anti-terroriste animé par des magistrats formés spécialement pour connaitre les dossiers en lien avec le terrorisme.

 

S : Les acteurs de la justice sont à Bobo-Dioulasso pour relire le code de procédure pénale. Quelle nécessité y avait-il à le faire quand on sait que ce même code a fait l’objet d’une relecture en 2019 ?

E.R.B : C’est vrai qu’en 2019 à côté nous avons relu le code de procédure pénale, mais cette nouvelle relecture pose la question fondamentale de nos réformes. Si nous voulons faire des réformes qui doivent avoir un impact sur la vie de nos populations, il faut qu’elles soient conduites par les acteurs de la justice eux-mêmes. Lesquels acteurs doivent prendre suffisamment le temps de constater la réalité du terrain. Nous ne dirons pas que cela n’a pas été fait en 2019, mais à l’épreuve de la pratique, on s’est rendu compte que le code de 2019 contient des lacunes et des insuffisances. L’autre élément qui a motivé cette relecture, c’est la vision du chef de l’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré, de faire en sorte que l’emprisonnement ne soit pas privilégié à d’autres mesures. Il s’agira par contre de privilégier la production à l’incarcération des personnes en conflit avec la loi. Les maisons d’arrêt et de correction dans les Hauts-Bassins à elles seules comptent plus 3 000 prisonniers avec plus de 1 000 détenus pour celle de Bobo-Dioulasso. Des effectifs qui posent des problèmes de surpopulation de nos prisons, de prise en charge de ces personnes qu’il faut nourrir et soigner avec l’argent du contribuable pendant qu’elles pouvaient être utiles quelque part. Quelques fois, ces personnes sont même condamnées pour des petits délits, des peccadilles. Mais ce n’est pas la faute au juge de les envoyer en taule, c’est la loi qui leur est appliquée. Tant que la loi restera telle, le juge ne pourra faire autrement. Tous ces éléments nécessitent des réformes et du code pénal, et du code de procédure pénale à travers la nouvelle vision de la politique pénale que le gouvernement veut pour le Burkina Faso. Donc la vision du chef de l’Etat, c’est d’avoir une politique pénale axée sur des mesures palliatives à l’emprisonnement tant que cela est possible.

 

S : La Cour européenne des droits de l’homme vient de rejeter le dossier d’extradition de François Compaoré dans le cadre du dossier Norbert Zongo et de ses trois compagnons. Est-ce la fin de ce dossier emblématique ?

E.R.B : C’est vrai qu’on aurait voulu que François Compaoré soit au Burkina Faso si d’aventure le dossier devrait être jugé. Malheureusement, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu une décision le 7 septembre dernier contre son extradition suscitant effectivement des questions si ce n’est pas la fin de ce dossier. Ce n’est pas la fin parce que le dossier à l’interne est entre les mains du juge d’instruction. L’instruction va aboutir à une décision appelée une ordonnance, soit de non-lieu, soit de renvoi devant la juridiction de jugement. Lorsque l’ordonnance sera rendue, nous l’espérons incessamment, s’il y a des charges suffisantes, un procès sera organisé, et les personnes inculpées présentes seront jugées contradictoirement, et celles qui ne vont pas comparaitre vont être jugées par défaut. A la suite du jugement, s’il y a des condamnations, la juridiction de jugement a la latitude d’émettre tout mandat approprié à l’encontre des personnes déclarées coupables et qui n’ont pas comparu.

Interview réalisée par la

Rédaction de Sidwaya/Bobo

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Captcha verification failed!
Le score de l'utilisateur captcha a échoué. Contactez nous s'il vous plait!