Burkina-Douanes-Enquête
Burkina/Des files de camions à perte de vue : enquête sur les causes d’un blocage
Ouagadougou, 6 oct. 2025 (AIB)- Des kilomètres de camions alignés aux frontières et aux principaux points d’entrée du Burkina Faso : l’image est saisissante, presque irréelle. Depuis plusieurs semaines, ces interminables files paralysent les abords des douanes, notamment à Ouaga Inter, le hub central du pays. Ce n’est pas un embouteillage anodin, ni une grève spontanée des transporteurs. En suivant les acteurs sur place (douaniers, transporteurs, transitaires) et en épluchant les documents officiels, une explication émerge : ce chaos est la conséquence directe de l’application stricte du règlement 14 de l’UEMOA, une règle longtemps ignorée, aujourd’hui imposée sans compromis par les autorités burkinabè.
Ce règlement, adopté par l’Union économique et monétaire ouest-africaine, établit des normes précises pour les camions de marchandises : des limites strictes sur leurs dimensions (longueur, largeur, hauteur) et leur poids (total et par essieu). Un véhicule qui dépasse ces seuils est immobilisé, contraint d’alléger ou de redistribuer sa charge avant de repartir. L’objectif est clair : préserver les routes, protéger les usagers, limiter les coûts collectifs. Un camion hors normes est une menace ambulante : instable dans les virages, lent à freiner, sujet au renversement ou à l’éclatement des pneus ; il dégrade le bitume, fracture les ponts, use les accotements ; il gêne les dépassements, réduit la visibilité, met en danger les autres conducteurs ; et les cargaisons mal arrimées risquent de tomber sur la chaussée.
Pendant des années, ces règles ont été appliquées avec mollesse. Les camions surchargés circulaient librement, laissant des routes abîmées et des accidents évitables. Le ministère de la Sécurité a décidé de mettre fin à ce laxisme. Désormais, tout camion hors normes est bloqué, sans exception. Cette fermeté a provoqué des remous. Certains transporteurs, habitués à contourner les règles, ont tenté de faire plier les autorités en bloquant les routes à la frontière. Leur mouvement a échoué : la loi s’applique. Conséquence directe, une cargaison autrefois transportée par un seul camion doit maintenant être répartie sur plusieurs véhicules, ce qui augmente le nombre de camions en circulation. Et quand ils arrivent en masse, sans coordination, les files s’allongent.
Mais il y a plus. À Ouaga Inter, la plateforme douanière, censée gérer ces flux, est débordée. Trop petite, dotée d’équipements obsolètes, elle est dépassée par l’ampleur du trafic. Cette infrastructure, gérée par la Chambre de commerce et non par les douanes a besoin d’aménagements. Sur le terrain, les signes d’investissements sérieux (agrandissement, modernisation des zones de transbordement, équipements de pesage performants) sont nécessaires. Le règlement 14 impose des normes strictes en amont, mais en aval, la plateforme agit comme un goulot d’étranglement.
Un autre facteur aggrave la situation : l’attitude des transitaires. Les agents des douanes prennent leur poste dès 7 heures du matin, prêts à traiter les dossiers. Mais certains transitaires ne se présentent qu’à midi, voire plus tard, sans planification ni respect des horaires. Ces arrivées désordonnées perturbent le travail des douaniers, déjà sous pression, et amplifient les retards. Les transporteurs, de leur côté, pointent du doigt ces intermédiaires, accusés de compliquer les opérations par leur manque de discipline.
Face à ce désordre, les douanes font un effort considérable. Une directive du Directeur général ordonne aux agents de travailler sept jours sur sept, sans week-ends ni jours fériés, pour réduire l’engorgement. Les équipes sont renforcées, les horaires étendus, les démarches accélérées dans les limites de la loi. Sans cet engagement, la situation serait encore plus critique. Mais les douaniers, seuls, ne peuvent tout résoudre.
Le règlement 14 met en lumière des vérités gênantes. Les routes burkinabè, déjà fragiles, ne peuvent plus supporter le poids des camions surchargés. Les accidents, trop fréquents, sont souvent liés à ces véhicules lourds, lents, instables. Les coûts cachés (carburant, pneus, pannes, assurances, retards) pèsent sur l’ensemble de l’économie. La concurrence déloyale est un autre fléau : ceux qui surchargent proposent des tarifs plus bas, mais font payer à la collectivité les routes détruites et les risques accrus. Et les contrôles laxistes d’autrefois ouvraient la porte à des arrangements douteux, favorisant l’inégalité.
Pour sortir de cette crise, des solutions s’imposent. À court terme, il faut organiser les arrivées des camions par créneaux horaires, donner la priorité aux marchandises vitales comme les vivres ou les médicaments, et encourager les déclarations en ligne pour préparer les dossiers à l’avance. Les transitaires doivent se plier aux horaires des douaniers, dès 7 heures, pour fluidifier les opérations.
À moyen terme, la plateforme de Ouaga Inter doit être rénovée : plus d’espace, des zones de transbordement modernisées, des systèmes de pesage performants, y compris en mouvement. Une meilleure coordination entre le ministère de la Sécurité, les douanes, les transports, la Chambre de commerce, les transitaires et les syndicats de transporteurs est essentielle.
Ces files de camions, aussi frustrantes soient-elles, sont le signe d’un retour à l’ordre. Le règlement 14 n’est pas une entrave, mais une nécessité : protéger les routes, réduire les accidents, instaurer une concurrence équitable. Les douanes montrent la voie par leur travail acharné. À la Chambre de commerce, aux transitaires et aux transporteurs de prendre leur part de responsabilité. Car derrière ces embouteillages, c’est un système de transport plus sûr, plus juste et plus durable qui peut émerger, à condition que chacun fasse sa part.
Agence d’Information du Burkina
BBP/Bz
Source : Direction générale des Douanes burkinabè