Yaadga/De l’ombre à la lumière : Ifoigin, symbole de résilience
Les habitants d’Ifoigin (nom fictif), un village de la Région de Yaadga, avaient été contraints de fuir leur localité un 23 décembre 2022 sous la pression de terroristes. Le 23 août 2023, ils ont pu regagner leurs terres grâce à la mobilisation des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP), appuyés par les Forces de Défense et de Sécurité (FDS). Depuis, la vie a repris son cours normal dans cette bourgade d’environ 3 470 âmes. Immersion au cœur d’un village qui renaît de ses épreuves, porté par la résilience et l’espoir d’un avenir meilleur.
Il est 8h30 au marché d’Ifoigin, en ce 6 septembre 2025. Ce n’est pas jour de marché, mais une légère animation y règne. Des jeunes partagent un café matinal en échangeant sur divers sujets, tandis que quelques clients se ravitaillent en attiéké et en haricots, parfois accompagnés de poisson frit pour les plus nantis. L’animation reste contenue, la plupart des habitants étant encore aux champs en cette pleine saison agricole.
« C’est là-bas qu’on peut avoir le réseau », lance un jeune en nous indexant une maisonnette au centre du marché, après avoir remarqué nos vaines tentatives de passer un appel. Là-bas, deux personnes étaient déjà accrochées à leur téléphone, plongées dans leurs messages WhatsApp. Nous n’avons eu d’autre choix que de les rejoindre pour réussir enfin à contacter notre guide du jour.
Notre première destination, le domicile du président du Comité Villageois de Développement (CVD) qui est le répondant de l’administration dans le village.
« J’espère que ce n’est pas un de Gourcy, qu’est ce qu’il cherche ici ? » lance une jeune femme assise sous un arbre à l’entrée de la concession, rappelant ainsi la parenté à plaisanterie entre Gourcy et Ifoigin. Nous répondons par des rires suivis des salutations d’usage avant de nous introduire chez notre hôte du jour qui nous attendait sous un petit hangar à l’entrée de sa cour.
« Honnêtement, nous étions inquiets les premiers jours après notre retour. Mais depuis la réinstallation des villages environnants, les inquiétudes se sont dissipées. Les gens circulent librement. Nous sommes très heureux et je peux vous assurer que nous vivons mieux, car le séjour à l’extérieur nous a beaucoup transformés », a confié le président du CVD, Moumouni Ouédraogo (nom d’emprunt), interrompant sa narration pour écouter des jeunes venus lui exposer une situation apparemment urgente.
Il se souvient avec émotion que c’est dans la soirée du 23 décembre 2022 qu’ils ont été contraints de quitter le village qui les avait vus naître, sous la menace d’un grand nombre de terroristes d’origine inconnue.
« Nous sommes revenus précisément le 23 août 2023. Tout se passe bien jusqu’à présent, et nous ne cessons de bénir et de rendre grâce aux VDP et au Président du Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, car c’est grâce à eux que nous sommes là aujourd’hui », a-t-il ajouté avec fierté et satisfaction.
Il est soutenu par moment, dans son discours, par notre guide, lui également un acteur majeur de la vie du village d’Ifoigin.
La vie a repris son cours normal dans le village
L’astre du jour poursuit son ascension. Il est 9h30. Près de l’école, une animation inhabituelle attire le regard. Ce sont des gens qui se réunissent pour une assemblée générale, un dispositif mis en place pour gérer les affaires du village après la réinstallation, selon le président du CVD. Chaque quartier y est représenté par deux personnes, et le représentant du chef du village est également présent.
« Tout se passe bien depuis notre retour ; les gens vaquent normalement à leurs occupations », explique-t-il. « L’assemblée du jour a désigné des représentants pour aller remercier une bonne volonté qui nous a récemment apporté des vivres », ajoute le sexagénaire.
Le président de l’Association des Parents d’Élèves (APE), également présent, précise que l’école a fonctionné l’année scolaire écoulée avec environ 360 élèves. Bien que nous soyons en pleine vacances scolaires, un petit regroupement est perceptible à l’école, située à quelques pas. « Ils sont venus solliciter une salle de classe pour accueillir un mariage qui se tient dans le village », confie-t-il.
Sous un grand hangar en tôle, un homme d’une soixantaine d’années nous invite à prendre place, confortablement installé sur une chaise métallique semi-rembourrée dont la hauteur reflète le rang qu’il occupe. Au-dessus de sa tête, un poster du président du Faso est soigneusement accroché, comme pour indiquer la légitimité de sa fonction.
Il fait signe à deux de ses éléments, postés à ses côtés, avant de s’adresser à nous. Les prises de vue ne sont pas autorisées. « Nous sommes venus réinstaller la population en août 2023 et depuis, nous vivons ici ensemble sans problème. Les consignes sont respectées, tout se passe bien, et nous avons même participé à l’installation de tous les villages environnants », explique l’homme qui n’est autre que le chef des VDP de la localité
Pendant nos échanges, un jeune en tenue militaire, coiffé d’un béret rouge, arrive. « C’est un des nôtres qui a été recruté comme militaire », précise le maître des lieux après les salutations, avant de poursuivre : « Quand nous sommes arrivés ici, c’était une vraie broussaille. Mais vous pouvez constater que tout est en ordre aujourd’hui et que les habitants circulent librement. »
Il déplore toutefois la perte de quatre de ses éléments, la plupart emportés par des maladies. « Nous souhaitons disposer de davantage de matériel, mais il faut aussi remercier pour tout ce qui a été fait », conclut-il.
Le soleil est maintenant au zénith. L’air lourd et la chaleur qui pèsent sur le village laissent présager une pluie dans les heures à venir. C’est le moment choisi pour rendre visite à dame Alimata (nom d’emprunt), après un tour dans les champs situés non loin des concessions.
À la centaine bien sonnée, nous la retrouvons assise sur une natte, à l’ombre d’un grand manguier à l’entrée de sa concession. Elle trie du « boulvanka » (des feuilles utilisées pour la sauce dans la région), le visage lumineux, elle raconte avec émotion sa situation. « Que Dieu bénisse les VDP et celui qui s’appelle Ibrahim Traoré », commence-t-elle. « Avec mon âge, on aurait pu m’enterrer ailleurs. Mais Dieu merci, j’ai retrouvé ma maison », marmonne la matrone à la retraite.
Entourée de ses belles-filles, de ses petits-enfants et en compagnie d’une autre femme de son âge, elle se remémore avec nostalgie la période révolutionnaire pendant laquelle elle avait reçu sa formation d’agent de santé. Très heureuse de regagner le bercail pour y finir ses vieux jours, dame Azèta déplore toutefois le manque d’eau dans leur quartier, conséquence du sabotage des installations hydrauliques par les terroristes lors de leur passage.
« Si les autorités pouvaient nous aider à avoir de l’eau, cela faciliterait grandement notre séjour », a-t-elle plaidé. Le ciel s’est soudainement assombri, annonçant une pluie imminente qui ne tarda pas à tomber. Une heure et demie plus tard, il était 14h30, et le centre de santé du village grouillait toujours de monde.
« Le travail se déroule normalement », rassure l’Infirmier Chef de Poste (ICP). Avec ses deux adjoints, il parvient à répondre efficacement aux besoins sanitaires des quelque huit (8) mille habitants que compte l’aire de santé d’Ifoigin. Pour l’instant, seul le Collège d’Enseignement Général (CEG) n’a pas encore ouvert ses portes.
De bonnes récoltes en perspectives
Au sortir du village, les odeurs des fleurs de maïs et de haricot embaument l’air, annonçant des champs en épiaison à perte de vue. Arachides, haricots, maïs, mil, sésame, et plus loin dans les bas-fonds, des rizières sont en pleine montaison. Aux abords des concessions, les champs de gombo entretenus par les femmes affichent une physionomie prometteuse.
« Avec mes épouses et mes enfants, nous avons emblavé environ huit hectares, toutes spéculations confondues », indique le guide avec qui nous avons parcouru quelques champs. « Les pluies sont bien réparties et, si tout se passe bien, nous aurons de bonnes récoltes comme l’année dernière », ajoute-t-il. Comme lui, son voisin a emblavé environ quatre hectares.
Le village d’Ifoigin, terre de Naaba Yadéga, se distingue par sa production de riz, qui s’étend sur plus de cent hectares aménagés. Comme partout, les producteurs ont bénéficié de semences, d’intrants et d’un accompagnement pour le labour, soit gratuitement, soit à prix subventionné, dans le cadre de l’offensive agricole de l’État. Selon la Direction provinciale en charge de l’agriculture, au moins 300 tonnes de riz sont attendues pour la campagne en cours.
Stigmates des attaques terroristes perceptibles
Des panneaux solaires du plus grand forage du village ont été volés et l’installation vandalisée, privant une bonne partie des quartiers d’eau potable. Non loin de là, un « bouli » abandonné en plein travaux a néanmoins pu conserver une bonne quantité d’eau. Des murs noircis, des cantines calcinées, ainsi que des portes et fenêtres béantes sont encore visibles à l’école primaire « A » d’Ifoigin, l’une des trois écoles primaires de la localité qui a subi les assauts des terroristes.
« Presque toutes les maisons ont été visitées pendant notre absence », confie Madi Ouédraogo, en montrant la porte de sa propre maison qu’il a remise en place à son retour. Sa motopompe personnelle a été emportée, et lui-même a miraculeusement eu la vie sauve.
Mais tout cela commence à appartenir au passé et à l’Histoire grâce à la résilience de la population et aux efforts de l’État pour la réinstallation des habitants, illustrés notamment par la réalisation de la voie principale menant à Ifoigin.
« Cela fait des décennies que nous attendions la construction de cette route. Finalement, en octobre 2023, soit deux mois après notre retour, les travaux ont commencé, et aujourd’hui nous avons l’une des meilleures voies de la province », se réjouit le président du CVD. « Notre plus grand souhait maintenant est l’érection de Ifoigin en département », ajoute-t-il en réitérant ses remerciements au gouvernement pour les efforts déployés.
Cette nouvelle voie incarne l’espoir d’un village qui renaît, qui vient de loin et qui se reconstruit. Comme à Ifoigin, la vie a repris son cours dans les quinze autres villages réinstallés sur un total de dix-huit dans la province , tous précédemment désertés du fait terrorisme. Avec optimisme, espoir et courage, ils réécrivent aujourd’hui une nouvelle page de leur histoire.
Agence d’ Information du Burkina
Wendngoudi Ouédraogo
Correspondant AIB